L’aluminium, un polluant méconnu mais pas sans conséquences
PAR JIMMY DEVERGNE, EMILIE REALIS ET MARIEM ZAIDI
(N’hésitez pas à commenter l’article en bas de page 🙂 )
Dans les milieux aquatiques, les métaux se trouvent naturellement en faibles concentrations, de l’ordre du nanogramme par litre. Cependant, en raison de diverses activités humaines (industrie chimique, combustions partielles des carburants, extraction minière,…), les métaux sont devenus les contaminants les plus répandus à la surface de la Terre. Ils font notamment partie des composés chimiques les plus présents dans les environnements estuariens et marins, où des concentrations élevées de métaux ont été mesurées dans les sédiments, l’eau et les êtres vivants.
Quelques repères :
-1 nanogramme est 1 milliard de fois plus léger qu’1 gramme
-1 grain de sel dans un bassin olympique ≈ 1 ng/L
L’aluminium est très toxique pour les organismes aquatiques
Les métaux peuvent être classés selon leurs propriétés structurales. On distingue alors :
- Les « métaux essentiels », qui entrent dans la composition de molécules actives des organismes vivants, par exemple le chrome (Cr), le cuivre (Cu), le fer (Fe), le manganèse (Mn), le molybdène (Mo), le Nickel (Ni), le sélénium (Se), le vanadium (V) et le zinc (Zn) ; à noter que même s’ils sont « essentiels » ils peuvent néanmoins devenir toxiques au-delà d’une certaine concentration ;
- Et les « métaux non essentiels », n’assurant aucune fonction dans l’organisme et se révélant être toxiques à faible dose tels que l’argent (Ag), l’arsenic (As), l’antimoine (Sb), le cadmium (Cd), le mercure (Hg), le plomb (Pb), le titane (Ti)… et l’aluminium (Al).
L’aluminium est reconnu pour sa forte toxicité sur les organismes aquatiques en raison notamment de sa dissolution dans l’eau qui va créer des composés toxiques « biodisponibles », c’est-à-dire en capacité d’affecter les organismes.
D’où vient l’aluminium présent dans les milieux aquatiques ?
L’Aluminium (Al) est le métal le plus abondant de l’écorce terrestre et le troisième élément le plus abondant après l’oxygène et le silicium. L’érosion de la croûte terrestre est la principale source naturelle d’Al. Cependant, les concentrations observées dans l’environnement semble trop élevées pour n’être dues qu’à l’érosion.
Ainsi, la libération d’Al dans l’environnement semble trouver sa source dans une multitude d’activités anthropiques. L’homme utilise l’aluminium depuis très longtemps, particulièrement dans les industries de construction, automobile, alimentaire et même dans les cosmétiques. L’emploi actuel de ce métal en milieu aquatique a été amplifié par l’usage d’un grand nombre d’électrodes « sacrificielles » sur les structures métalliques en haute mer comme les coques de bateaux et autres surfaces métalliques (balises, station, …). Ces électrodes, grâce au courant électrique continu qui les parcourent, permettent d’éviter la corrosion de la structure métallique sur lesquelles elles sont positionnées. Mais la contrepartie de cette méthode anti-corrosion est qu’une fois activées, les électrodes relarguent des ions d’Al toxique dans l’environnement, impactant les organismes aquatiques.
L’aluminium peut s’accumuler dans les organismes vivants et les affecter
De plus, il a été démontré que l’Al peut s’accumuler dans les tissus des organismes vivants. Cette accumulation a été observée par exemple chez :
- Le gastéropode aquatique Lymnaea stagnalis :principalement localisé dans la glande digestive, l’Al induit une hypoxie (diminution de la quantité d’oxygène que le sang distribue aux tissus) et un stress oxydant (agression des cellules), une réduction de la mobilité et une perturbation du fonctionnement hormonal
- L’espèce de corail Acropora tenuises :il perturbe la reproduction, et la croissance au stade larvaire.
- Les balanes (Amphibalanus amphitrite), les moules (Mytilus edulis, Mytilus galloprovincialis), l’huître (Saccostrea echinata) et les oursins (Paracentrotus lividus, Sphaerechinus granularis) : chez tous ces organismes, il induit une toxicité embryonnaire.
- Un poisson, la perche commune (Perca fluviatilis) : en s’accumulant dans la paroi branchiale, il perturbe les échanges de gaz respiratoires entre le poisson et son environnement.
L’ensemble de ces fonctions physiologiques sont essentielles pour la survie des organismes au sein de leurs milieux, ainsi toutes altérations de celles-ci peuvent conduire à une mortalité importante des populations.
Cependant, certaines espèces de gastéropodes ont mis en place des systèmes permettant de diminuer les effets de l’aluminium, d’une part, en le séquestrant sous forme de granules, et d’autre part, en produisant des molécules favorisant sa détoxication telles que les métallothionéines.
Nos émissions de CO2 amplifient les effets de l’aluminium sur les milieux aquatiques
Ainsi, l’aluminium est devenu un élément sous haute surveillance pour les organismes aquatiques Ceci est d’autant plus justifiable que nos rejets de gaz à effet de serre contribuent à augmenter les effets de ce métal sur les milieux aquatiques, et ce pour deux raisons.
La première raison vient du fait qu’une partie du dioxyde de carbone (CO2) que nous émettons dans l’atmosphère est absorbée par les océans. Heureusement pour nous, car cette absorption permet de contenir l’ampleur du réchauffement climatique. Mais malheureusement, la conséquence écologique de cette absorption est lourde, dans la mesure où le CO2 absorbé réagit avec l’eau de mer et entraine une acidification progressive des milieux aquatiques. Vous avez peut-être déjà entendu que cette acidification représentait un risque majeur pour les coraux, dont le squelette devient plus fragile. Un second effet moins connu de cette acidification est qu’elle amplifie la dissolution des métaux dans l’eau. Ainsi, le phénomène de dissolution de l’aluminium prend de l’ampleur, ce qui augmente sa biodisponibilité dans les milieux aquatiques, et amplifie l’exposition du vivant à ce métal.
La seconde raison vient du changement climatique en lui-même. Vous savez évidemment que nos rejets de gaz à effet de serre réchauffent les milieux aquatiques. Or, malheureusement, avec l’augmentation de la température l’Al prend différentes formes plus toxiques pour les poissons et les invertébrés.
Article posté le 22 octobre 2022 par Jimmy DEVERGNE (Doctorant à l’IFREMER), Emilie REALIS (Chercheuse à INRAE) et Mariem ZAIDI (Docteure en écotoxicologie)
Cet article a été approuvé par la société savante française S.E.F.A. (Société d’Écotoxicologie Fondamentale et Appliquée), dont l’objectif, depuis 1983, est de faire progresser les éléments fondamentaux et appliqués de l’écotoxicologie par la recherche, la surveillance, la gestion, la réglementation et l’enseignement. Elle vise à rassembler les experts du domaine et ceux qui s’intéressent à l’écotoxicologie en encourageant la coopération et la communication.
Pour aller plus loin:
Botté, A., Zaidi, M., Guery, J. et al. Aluminium in aquatic environments: abundance and ecotoxicological impacts. Aquat Ecol 56, 751–773 (2022). https://doi.org/10.1007/s10452-021-09936-4