Bouteilles en plastique

Les effets des perturbateurs endocriniens sur l’environnement

Les perturbateurs endocriniens se sont révélés aux yeux du grand public au début des années 1990 lorsque plusieurs études ont permis d’établir que la concentration spermatique avait décliné au cours des 50 dernières années (Carlsen, 1992). Or, la probabilité d’avoir un enfant est divisée par deux en dessous de 20 millions de spermatozoïdes par millilitre. Une baisse continue de cette concentration peut donc à terme, poser des problèmes de reproduction pour l’espèce humaine.

Le déclin de la concentration moyenne de spermatozoïdes depuis 1938 serait dû aux perturbateurs endocriniens
Source : Carlsen, 1992

Cette baisse du nombre de spermatozoïdes, bien que non observée dans certaines zones géographiques telles que la Finlande (Suominen, 1993) ou encore Toulouse (Bujan, 1996), a suscité de vives interrogations sur ses causes possibles. On soupçonna alors des molécules chimiques présentes dans notre environnement de causer ces troubles de la reproduction : les perturbateurs endocriniens.

I. QU’EST-CE QU’UN PERTURBATEUR ENDOCRINIEN ?

Un perturbateur endocrinien est une substance provoquant des effets néfastes sur la santé d’un organisme ou sa descendance, en agissant sur le système endocrinien (OCDE, 1997).

C’est donc une substance capable d’agir sur la synthèse, la sécrétion, le transport, la liaison ou l’élimination des hormones naturelles. Or, ces hormones interviennent dans la reproduction, la croissance et le développement, le maintien de l’homéostasie (maintien de l’environnement interne) et la disponibilité énergétique.

Schéma du système endocrinien
Le système endocrinien – Source : emcom.ca, 2011

Un perturbateur endocrinien est donc susceptible d’induire des perturbations sur l’ensemble de ces fonctions.

1. Des composés de différentes natures

Les perturbateurs endocriniens sont de natures extrêmement variées :

  • substances chimiques industrielles : plastifiants tels que les phtalates, le bisphénol A ou les alkylphénols, composés perfluorés, etc.
  • produits phytosanitaires (pesticides) : organochlorés, vinclozine, etc.
  • hydrocarbures aromatiques : Polychlorobiphényls (PCB), etc.
  • médicaments : anticancéreux comme le tamoxiphène, oestrogènes naturels et synthétiques (pilule contraceptive), etc.
  • substances naturelles : phytoestrogènes, isoflavonoïdes, etc.
Les plastifiants font partie des perturbateurs endocriniens pouvant avoir un effet sur l'environnement
Les bouteilles sont composés de plastifiants comme les phtalates qui font partie des perturbateurs endocriniens

2. Comment un perturbateur endocrinien agit-il ?

Il agit selon trois modes d’action :

  1. effet mimétique : il peut imiter l’action d’hormones naturelles telle que les œstrogènes ou la testostérone, comme une fausse clé dans les « serrures biologiques  » qui existent dans les organes et cellules,
  2. effet de blocage : en bloquant les récepteurs des cellules recevant les hormones (récepteurs des hormones) empêchant ainsi l’action des hormones (en saturant les récepteurs, par exemple),
  3. effet perturbant : en agissant sur la synthèse, le transport, le métabolisme et l’excrétion des hormones modifiant ainsi les concentrations d’hormones naturelles.

Ces perturbations sont d’autant plus graves qu’elles se produisent tôt (fœtus, embryon, jeune) car pouvant induire des effets irréversibles.

Ce sont ces trois modes d’action qui sont à l’origine des effets des perturbateurs endocriniens sur la croissance ou encore sur la reproduction d’un organisme.

Une des caractéristiques des perturbateurs endocriniens est l’absence de relation dose-réponse. En effet, pour un polluant « classique », plus le polluant est présent en grande quantité dans un organisme et plus il est toxique. A l’inverse pour un perturbateur endocrinien, cette relation n’est pas valable car le composé agit comme une hormone. Ainsi, des effets peuvent êtres mis en évidence à des concentrations infimes puis une diminution de cet effet à une concentration supérieure. Cette propriété rend l’effet des perturbateurs endocriniens difficile à prédire.

3. Des effets mis en évidence par de nombreuses études en laboratoire

Ces effets ont été mis en évidence chez les mammifères par de nombreuses études (Nakamura, 2002) ; (Scott, 2000) ; (Soto, 1991). Différentes études de laboratoire ont également montré l’effet de ces composés sur la reproduction d’invertébrés. Comme le montre le graphique ci-dessous, une étude a ainsi mis en évidence une augmentation de la production d’embryons du mollusque Potamopyrgus antipodarum lorsqu’il est exposé à du Bisphénol A (Jobling, 2004).

Graphique montrant l'augmentation de la production d'embryons  chez le mollusque Potamopyrgus antipodarum exposé à du BPA, un perturbateur endocrinien retrouvé dans l'environnement.
Cette étude met en évidence une augmentation de la production d’embryons
chez le mollusque Potamopyrgus antipodarum exposé à du BPA – Source : Jobling, 2004

4. Des effets en mélange encore mal compris

Graphique sur les effets de composés oestrogéniques (perturbateurs endocriniens) mesurés par test YES
Effets de composés œstrogéniques (perturbateurs endocriniens) mesurés par test YES – 1 à 8 : effets des composés testés individuellement ; ES : somme arithmétique des effets individuels mesurés des 8 composés ; CA : modèle de prédiction  » addition des concentrations » ; MIX : effets mesurés des composés testés en mélange – Source : Silva, 2002

Les scientifiques commencent à mieux appréhender les effets de ces composés pris individuellement. En revanche, il est beaucoup plus difficile d’évaluer l’effet de ces composés lorsqu’ils sont présents en mélange. En effet, différentes études ont déjà montré que même si chacun des composés est présent à une concentration inférieure à celle où il induit un effet, le mélange de ces composés à ces mêmes concentrations peut néanmoins causer un effet (Silva, 2002).

Pour mieux comprendre ce phénomène, rien de vaut en exemple. L’étude de Silva (graphique ci-dessous) a testé l’effet de 8 composés œstrogéniques (8 perturbateurs endocriniens) par un test particulier (le test YES) évaluant la puissance de l’effet perturbant (qu’on nomme « potentiel œstrogénique »).

Les résultats de cette étude montrent que l’effet de chacun des composés pris séparément est pratiquement nul (« barres » 1 à 8). Si on fait, par calcul, la somme de ces effets, on arrive à un effet, là encore, très faible (barre « ES » sur le graphique). En revanche, on voit que si on mélange ces composés, l’effet de l’ensemble est beaucoup plus fort (barre « mix » sur le graphique). En mélange, on a donc parfois un effet « 1+1=3 ». Mais on peut aussi observer le phénomène inverse: l’effet de plusieurs composés peut s’annuler. On a ainsi un effet 1+1=0.

II. EFFETS DES PERTURBATEURS ENDOCRINIENS SUR L’ENVIRONNEMENT

Les rejets des stations d’épuration ainsi que d’autres types d’introduction de ces polluants (ex : pesticides introduits par ruissellement dans les rivières) répandent un très grand nombre de perturbateurs endocriniens dans l’environnement.

Ainsi, depuis les années 60, les scientifiques ont mis en évidence différentes anomalies dans les populations animales, attribuables aux effets délétères de certains perturbateurs endocriniens. Ces effets ont été observés chez des populations de poissons, de reptiles, invertébrés ou encore d’oiseaux.

1. Un pesticide qui altère la reproduction de populations d’oiseaux

Le DDT (dichlorodiphényldichloroéthane) est un insecticide de la famille chimique des organochlorés. Ce produit a été intensément utilisé à partir du début de la deuxième guerre mondiale contre les insectes ravageurs des cultures et les insectes porteurs de maladie (malaria, typhus…) avec un certain succès (INERIS, 2007).

Publicité sur le DDT, un pesticide ayant des effets perturbateurs endocriniens sur l'environnement.
Publicités pour l’utilisation du DDT comme insecticide

Cependant, ce pesticide a également démontré des effets toxiques très importants vis à vis des populations aquatiques et terrestres dans les régions régulièrement traitées pour la démoustication. Selon différents auteurs, le DDT est en partie responsable du déclin sévère des populations européennes et nord-américaines d’oiseaux piscivores (mangeurs de poissons) et des oiseaux de proie, à cause d’un amincissement de la coquille des œufs (Hickey, 1968 ; Ratcliffe, 1970 ; Peakall, 1970).

En effet, le DDT, ingéré à travers la consommation de poissons, empêche la formation normale de la coquille d’œuf. Celle-ci est parfois si fine qu’elle se casse lors de la couvée. Bien qu’interdit depuis les années 1970 dans les pays occidentaux (principalement pour des raisons écologiques), on le retrouve encore aujourd’hui dans les sols et les eaux en raison de sa faible biodégradabilité.

Amincissement de la coquille d'oeuf chez les grebes (accident du Clear Lake) et faucons à cause du DDT
Amincissement de la coquille d’œuf chez les grèbes (accident du Clear Lake) et faucons – Source : Vasseur, 2006 – Licence : tous droits réservés

2. Le TBT: un composé qui masculinise des femelles escargots

Le Tributylétain (TBT) est un produit essentiellement utilisé dans les antifoulings (peinture antisalissure destinée à empêcher la fixation des organismes aquatiques sur la coque des bateaux) dès les années 1960 mais surtout dans les années 1970 avec l’explosion de la construction navale et de la plaisance. Depuis 2008, il est interdit de l’utiliser sur les navires en France.

Dans les années 80, ce produit a été accusé de « masculiniser » des femelles d’une espèce d’escargot marin: Nucella lapillus (Gibbs et Bryan, 1987 ; Bryan, 1988). Ce phénomène constitue le cas le plus évident de perturbation endocrine par un polluant chimique. Le TBT est responsable du déclin et même de l’extinction de populations locales de cet escargot dans le monde entier.

Les scientifiques ont avancé deux explications pour expliquer cette masculinisation des femelles:

  • inhibition de l’aromatase par le TBT: l’aromatase est une enzyme responsable de la « conversion » de la testostérone, hormone « masculine », en oestradiol, hormone « féminine ». Or, selon certains scientifiques, le TBT empêcherait l’aromatase de jouer son rôle. Ainsi, les escargots femelles ne produiraient plus d’oestradiol, ce qui entrainerait leur masculinisation (Matthiessen et Gibbs, 1998 ; Fent, 1996).
Inhibition de l'aromatase par le TBT, un perturbateur endocrinien ayant des effets sur l'environnement
  • l’augmentation de la libération de PMF (Penis Morphogenic Factor) : le PMF est un neuropeptide hormonal qui induit la différentiation mâle chez les mollusques. Selon Oberdorster et McClellan-Green (2002), le TBT augmenterait la libération de PMF, induisant ainsi une masculinisation des femelles escargots.

3. Et bien d’autres effets écologiques

Bien d’autres effets, dont les perturbateurs endocriniens sont suspectés d’être à l’origine, ont été observés par les scientifiques. On peut par exemple citer:

Alligator
Des alligators du lac Apopka, en Floride, ont subi un développement anormal des organes sexuels et des anomalies fonctionnelles à cause du DDT – Source : Duhaudt-routard.com, 2011

III. VERS UNE MEILLEURE PRISE EN COMPTE DES PERTURBATEURS ENDOCRINIENS

Pour s’attaquer au problème, l’État a lancé en 2008 un Programme National de Recherche sur les Perturbateurs Endocriniens (PNRPE). Par ailleurs, l’interdiction du Bisphénol A dans les biberons dans différents pays et les différents projets de loi visant à limiter l’utilisation de certains perturbateurs endocriniens prouvent que les politiques commencent à prendre conscience de ce problème.

Néanmoins, de nombreux perturbateurs endocriniens (PCB, phtalates, pesticides, etc.) sont présents dans le milieu naturel sans que l’on comprenne précisément leurs effets sur les écosystèmes et la santé humaine.

Pour mieux appréhender ce risque, il est donc nécessaire:

  • de poursuivre la recherche : pour mieux comprendre l’effet des mélanges de perturbateurs endocriniens, pour développer des méthodes permettant de détecter les effets de ces composés dans un milieu naturel, etc.
  • une meilleure coordination internationale : notamment pour limiter l’utilisation ou interdire certains composés dangereux pour l’environnement.
  • améliorer la communication vis à vis du public : pour limiter l’utilisation de produits contenant des perturbateurs endocriniens et ainsi réduire les rejets de ces composés dans l’environnement.


Article rédigé par Vivien Lecomte, mis à jour le 3 janvier 2012 – Ecotoxicologie.fr : tous droits réservés

EN SAVOIR PLUS…

PNRPE.fr : Site du Programme National de Recherche sur les Perturbateurs Endocriniens
ANSES.fr : Site de l’Agence Nationale de Sécurité Sanitaire de l’Alimentation, de l’Environnement et du Travail – page dédiée aux perturbateurs endocriniens
Fiche ONEMA : Les perturbateurs endocriniens dans l’environnement aquatique, novembre 2009
Colloque Perturbateurs endocriniens et biodiversité : colloque du 28 avril 2011, organisé par le Réseau Environnement Santé et WWF.
Edlists.org : ce site répertorie la liste des substances reconnues comme étant des perturbateurs endocriniens dans la réglementation européenne sur les produits chimiques.

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