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Perturbateurs endocriniens : quels sont leurs effets sur l’environnement ?

Introduction

Historiquement, les perturbateurs endocriniens ont commencé à attirer l’attention des chercheurs dès les années 1950. Les scientifiques se sont alors alarmés d’anomalies de la fonction de reproduction (mutations sexuelles, comportements inhabituels, etc.) observées chez de nombreuses espèces animales ainsi que chez les humains. Les études écologiques ont notamment mis en évidence :

  • Des problèmes de reproduction chez les goélands liés à l’amincissement de la coquille des œufs (années 1970) ;
  • Une « masculinisation » de femelles gastéropodes au niveau des zones portuaires (années 1970) ;
  • L’altération des capacités de reproduction et de la fonction immunitaire des phoques en mer Baltique, entraînant une diminution des populations (années 1980) ;
  • Un développement anormal du pénis chez les alligators dans les lacs pollués au DDE (métabolite de l’insecticide DDT) en Floride (années 1990) ;
  • Une féminisation des téléostéens (poissons à sexes séparés) dans les eaux terrestres (rivières, lacs) et marines, avec réduction de la spermatogenèse (processus aboutissant à la formation des spermatozoïdes) et apparition d’ovocytes dans les organes sexuels mâles (années 1990).

Mais c’est l’affaire du distilbène, une hormone de synthèse, qui dans les années 1970 a fait exploser le sujet des perturbateurs endocriniens sur la scène scientifique et médiatique, alors même que ce terme n’était pas encore utilisé. En France, ce produit pharmaceutique a été très largement prescrit aux femmes enceintes entre 1948 et 1977 pour prévenir les fausses couches. Or, les études de l’époque ont révélé que l’exposition de la mère au distilbène pouvait avoir des conséquences dramatiques sur la descendance : anomalies du développement de l’appareil reproducteur, stérilité, cancers de l’appareil reproducteur chez les filles, incidence accrue de l’hypopsadie (pénis de petite taille), de la cryptochirdie (absence de descente des testicules) et des anomalies de la spermatogenèse chez les garçons. Plusieurs études récentes suggèrent même de possibles répercussions chez les petits-enfants de femmes ayant pris du distilbène (DES France, 2023).

Mais le distilbène n’est malheureusement pas le seul perturbateur endocrinien auquel nous sommes exposés. Ainsi, vous avez certainement déjà entendus que depuis plusieurs décennies, la fertilité de l’espèce humaine avait tendance à diminuer, tandis que les phénomènes de puberté précoce chez les filles et de cryptorchidies chez les garçons devenaient plus fréquents. Aujourd’hui, on sait que ces perturbations sont d’origine hormonale (= endocrinienne) et ne se limitent pas à l’appareil reproducteur, mais affectent aussi le métabolisme (problèmes d’obésité et de diabète) et les comportements neuro-développementaux.  Ces altérations du système endocrinien, très préoccupantes chez l’homme, conduisent au déclin de certaines populations animales.

Comment se définit un perturbateur endocrinien ? Quelles sont les substances chimiques concernées ? Comment ces substances agissent-elles sur les hormones et quelles sont leurs effets sur les organismes et les écosystèmes ? Autant de questions que je vous propose de creuser dans le cadre de cet article.

1. LE SYSTÈME ENDOCRINIEN ET LES HORMONES

Le système endocrinien fait référence au système hormonal des animaux (Cf. figure 1). Il est constitué de glandes qui sécrètent les hormones, comme l’hypophyse, la thyroïde, le pancréas endocrine, les ovaires et les testicules ou de cellules comme celles de l’estomac qui sécrètent la gastrine et la ghréline, celles de l’intestin qui sécrètent la sécrétine et la cholécystokinine, ou les cellules adipeuses qui sécrètent les adipokines.

Les hormones sont des molécules secrétées dans le sang qui vont agir à distance sur différents organes pour assurer le bon fonctionnement de l’organisme. Chez les invertébrés, les hormones circulent au niveau de l’hémolymphe. Le système endocrinien est donc un moyen de communication entre les cellules.

Le système endocrinien des mammifères
Figure 1 :  Le système endocrinien est l’un des principaux systèmes de communication et de régulation des fonctions corporelles chez les animaux – Crédit : Institut national de la recherche scientifique du Québec (INRS) et Centre intersectoriel d’analyse des perturbateurs endocriniens (CIAPE), 2020 – Licence : Tous droits réservés

Les cellules émettrices, dites endocrines, sécrètent des hormones de natures chimiques diverses (peptides ou polypeptides, stéroïdes, ou des hormones dérivées de la tyrosine) qui agissent à très faibles doses (de 10-12 à 10-9 mol/L) sur des cellules cibles.  La liaison entre l’hormone et la cellule cible se fait au niveau d’un récepteur cellulaire.

Qu’est-ce qu’un récepteur cellulaire ?
Le récepteur à une hormone peut être assimilé à une serrure où vient se loger la clé qui est l’hormone. La liaison hormone-récepteur conduit à la réponse biologique. Il existe deux familles de récepteurs : les récepteurs membranaires (l’hormone ne pénètre pas dans la cellule) et les récepteurs nucléaires qui agissent sur le génome (l’hormone pénètre dans la cellule).

2. QU’EST-CE QU’UN PERTURBATEUR ENDOCRINIEN ?

2.1 Définition

En juillet 1991, la conférence de Wingspread dans le Wisconsin, rassemblant de nombreux scientifiques d’horizons divers, se révèle être un tournant décisif. C’est là qu’émerge pour la première fois le terme de « perturbateurs endocriniens », accompagné du commentaire suivant : « Nous sommes certains qu’un grand nombre de produits chimiques fabriqués par l’homme déversés dans l’environnement ainsi que certains produits naturels, ont le potentiel de perturber le système endocrinien animal, y compris celui des êtres humains ».

Mais c’est au début des années 2000 que l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) apportera une définition officielle de ce terme. Un perturbateur endocrinien (PE) est alors défini comme un xénobiotique (c.à.d. une substance qui provient de l’extérieur de l’organisme, que l’on peut qualifier également de substance exogène) ou comme un mélange de xénobiotiques qui altère le (ou les) fonction(s) du système endocrinien et provoque par conséquent des effets néfastes sur la santé d’un organisme, de sa descendance ou de ses sous-populations (OMS/PISSC, 2002).

Selon l’Union européenne (règlement (CE) n° 1107/2009 relatif aux produits phytopharmaceutiques et règlement (UE) n° 528/2012 relatif aux produits biocides), trois conditions sont nécessaires pour qu’une substance puisse être qualifiée de PE. Elle devra (i) produire un effet négatif et (ii) avoir un mode d’action qui altère les fonctions du système hormonal. Mais surtout, (iii) il faudra démontrer que cet effet négatif est une conséquence directe de ce mode d’action.

Cette définition est considérée comme trop restrictive par les scientifiques et les ONG car pour de nombreuses substances suspectées d’être des PE, il s’avère très complexe de mettre en évidence le mode d’action.  En outre, les effets apparaissent souvent sur le long terme, parfois très longtemps après l’exposition. On sait désormais que l’exposition à de faibles concentrations d’un PE peut causer des effets irréversibles ou non et décalés dans le temps. Pour ajouter à la complexité, ces effets peuvent n’apparaître que lorsque l’exposition a eu lieu à des moments précis du développement de l’organisme (cf. partie 3.2 Fenêtre de vulnérabilité).  C’est ainsi que l’on a découvert que l’exposition des embryons à des produits mimant les hormones naturelles entraînait des anomalies irréversibles de l’appareil reproducteur.

Vous comprenez alors pourquoi il est difficile d’affirmer qu’une substance chimique donnée est (ou n’est pas) un PE.

10 critères pour caractériser les perturbateurs endocriniens (chez l’humain)
Si le terme “perturbateur endocrinien” est largement utilisé dans la presse et par le public, les scientifiques ne sont pas vraiment d’accord sur ce qu’est in fine un perturbateur endocrinien (Chèvre, 2021). Ainsi, en 2019, un groupe d’experts en endocrinologie issus de différents pays a publié une liste de 10 critères pour caractériser les PE (La Merrill et al, 2019), de manière similaire à ce qui se fait pour définir des substances cancérigènes. En 2021, des auteurs ont montré sur la base d’une revue de littérature que l’herbicide glyphosate remplissait 8 des 10 critères mentionnés, et devrait donc être classé comme PE au côté du bisphénol A, des phtalates et des PCBs (Munoz et al, 2021). Mais tous ces critères sont définis pour l’être humain : s’ils peuvent s’appliquer pour les vertébrés, ce n’est pas le cas pour les invertébrés ou pour les plantes (Chèvre, 2021).

2.2 Les mécanismes d’action des perturbateurs endocriniens

Comme illustré sur la figure 2, un PE peut interférer avec chacune des phases de la « vie » d’une hormone naturelle :  la synthèse (production) de l’hormone (1), sa libération dans le sang, son transport (2), sa liaison au récepteur cellulaire (3), son action, son métabolisme (transformation) et/ou son élimination (4). Du fait de la concentration très faible à partir de laquelle les hormones agissent, une légère perturbation de l’une de ces phases peut altérer la réponse cellulaire et entraîner des effets délétères parfois irréversibles sur l’organisme ou sa descendance.

Modes d'action des perturbateurs endocriniens sur les phases de la vie d'une hormone
Figure 2 : Un perturbateur endocrinien peut affecter les différences phases de la « vie » des hormones naturelles : 1) Synthèse, 2) Transport, 3) Liaison au récepteur cellulaire, 4) Métabolisme (transformation et élimination) – Crédit : Dorothée River – Licence : Tous droits réservés

Les PE participent aussi aux modifications épigénétiques du génome (voir encart), conduisant à des effets transgénérationnels. La transmission transgénérationnelle se produit lorsque la descendance (F1) transmet ensuite ces effets à des descendants qui n’ont pas été exposés à l’événement traumatique initial (ici, l’exposition à un PE), au moins jusqu’aux « petits-enfants » (F2) et aux « arrière-petits-enfants » (F3).

L’effet de PE a été mis en évidence sur un certain nombre d’hormones, telles que les androgènes (hormones associées aux caractères mâles chez les vertébrés – ex. :  la testostérone), les œstrogènes (hormones associées aux caractères femelles – ex. : l’œstradiol) et les hormones thyroïdiennes (ex. : la thyroxine – T4- et la triiodothyronine – T3).

Epigénétique : de quoi parle-t-on ?
L’épigénétique se penche sur une couche d’informations complémentaires qui influence l’utilisation des gènes par une cellule, sans modifier leur séquence d’ADN. Ces modifications épigénétiques sont réversibles et peuvent être transmises lors des divisions cellulaires. Contrairement aux mutations génétiques, elles n’affectent pas directement la séquence nucléotidique de l’ADN. Les facteurs environnementaux peuvent induire des modifications épigénétiques. Ces changements sont matérialisés par des marques biochimiques apposées sur l’ADN ou sur les protéines qui le structurent.

2.3 La dose ne fait pas le poison

Courbe dose-réponse monotone
Figure 3 : Courbe théorique représentant une relation de type monotone entre la dose/concentration d’une substance et son effet sur l’organisme

Vous connaissez peut-être le célèbre paradigme de Paracelse selon lequel « rien n’est poison, tout est poison, seule la dose fait le poison ». Selon ce dicton, la toxicité d’une substance est nulle à « faible dose » puis augmente avec la dose jusqu’à atteindre un plateau. Cette relation entre la dose de la substance et l’effet associé (réponse) peut être représentée par une courbe dose-réponse sigmoïde dite monotone (figure 3).

Si la relation monotone entre la dose d’un polluant et son effet est le cas le plus fréquemment observé, les PE échappent à la règle. Ils peuvent en effet agir à de très faibles doses au même titre que les hormones ou bien à très fortes doses, conduisant à des courbes dites non monotones, en U, en U inversé, ou à des courbes biphasiques (figure 4).

Courbes dose-réponse de perturbateurs endocriniens
Figure 4 : Exemples de courbes non monotones (courbe en forme de U, en forme de U renversé et courbe biphasique)

2.4 Dans quels produits trouve-t-on des perturbateurs endocriniens ?

Les études scientifiques ont permis d’identifier de nombreux PE de nature et d’usage très variés :

  • des hormones naturelles telles que l’estrone (E1), l’estradiol (E2) et l’estriol (E3) ;
  • des substances naturelles d’origine végétale (« phytoestrogènes ») telles que la génistéine (soja) et le coumestrol (trèfle, luzerne, etc.) ;
  • des substances chimiques fabriquées par l’homme telles que des biocides (ex. :  tributylétain -TBT), des tensioactifs (ex. : alkylphénols, PFAS), des filtres UV (ex. : benzophénones), des pesticides (ex. : DDT), des agents plastifiants (ex. : phtalates, bisphénols) et des retardateurs de flamme (ex. : PBDE) ;
  • des produits pharmaceutiques comme l’éthinylœstradiol (EE2 : principe actif de la pilule contraceptive) et les traitements contre les cancers hormono-dépendants (cancers des testicules, de la prostate, du sein, de l’utérus, des ovaires) dont le tamoxifène.

1. Des composés de différentes natures

Les perturbateurs endocriniens sont de natures extrêmement variées :

  • substances chimiques industrielles : plastifiants tels que les phtalates, le bisphénol A ou les alkylphénols, composés perfluorés, etc.
  • produits phytosanitaires (pesticides) : organochlorés, vinclozine, etc.
  • hydrocarbures aromatiques : Polychlorobiphényls (PCB), etc.
  • médicaments : anticancéreux comme le tamoxiphène, oestrogènes naturels et synthétiques (pilule contraceptive), etc.
  • substances naturelles : phytoestrogènes, isoflavonoïdes, etc.

2. Comment un perturbateur endocrinien agit-il ?

Il agit selon trois modes d’action :

  1. effet mimétique : il peut imiter l’action d’hormones naturelles telle que les œstrogènes ou la testostérone, comme une fausse clé dans les « serrures biologiques  » qui existent dans les organes et cellules,
  2. effet de blocage : en bloquant les récepteurs des cellules recevant les hormones (récepteurs des hormones) empêchant ainsi l’action des hormones (en saturant les récepteurs, par exemple),
  3. effet perturbant : en agissant sur la synthèse, le transport, le métabolisme et l’excrétion des hormones modifiant ainsi les concentrations d’hormones naturelles.

Ces perturbations sont d’autant plus graves qu’elles se produisent tôt (fœtus, embryon, jeune) car pouvant induire des effets irréversibles.

Ce sont ces trois modes d’action qui sont à l’origine des effets des perturbateurs endocriniens sur la croissance ou encore sur la reproduction d’un organisme.

Une des caractéristiques des perturbateurs endocriniens est l’absence de relation dose-réponse. En effet, pour un polluant « classique », plus le polluant est présent en grande quantité dans un organisme et plus il est toxique. A l’inverse pour un perturbateur endocrinien, cette relation n’est pas valable car le composé agit comme une hormone. Ainsi, des effets peuvent êtres mis en évidence à des concentrations infimes puis une diminution de cet effet à une concentration supérieure. Cette propriété rend l’effet des perturbateurs endocriniens difficile à prédire.

3. Des effets mis en évidence par de nombreuses études en laboratoire

Ces effets ont été mis en évidence chez les mammifères par de nombreuses études (Nakamura, 2002) ; (Scott, 2000) ; (Soto, 1991). Différentes études de laboratoire ont également montré l’effet de ces composés sur la reproduction d’invertébrés. Comme le montre le graphique ci-dessous, une étude a ainsi mis en évidence une augmentation de la production d’embryons du mollusque Potamopyrgus antipodarum lorsqu’il est exposé à du Bisphénol A (Jobling, 2004).

Graphique montrant l'augmentation de la production d'embryons  chez le mollusque Potamopyrgus antipodarum exposé à du BPA, un perturbateur endocrinien retrouvé dans l'environnement.
Cette étude met en évidence une augmentation de la production d’embryons
chez le mollusque Potamopyrgus antipodarum exposé à du BPA – Source : Jobling, 2004

4. Des effets en mélange encore mal compris

Graphique sur les effets de composés oestrogéniques (perturbateurs endocriniens) mesurés par test YES
Effets de composés œstrogéniques (perturbateurs endocriniens) mesurés par test YES – 1 à 8 : effets des composés testés individuellement ; ES : somme arithmétique des effets individuels mesurés des 8 composés ; CA : modèle de prédiction  » addition des concentrations » ; MIX : effets mesurés des composés testés en mélange – Source : Silva, 2002

Les scientifiques commencent à mieux appréhender les effets de ces composés pris individuellement. En revanche, il est beaucoup plus difficile d’évaluer l’effet de ces composés lorsqu’ils sont présents en mélange. En effet, différentes études ont déjà montré que même si chacun des composés est présent à une concentration inférieure à celle où il induit un effet, le mélange de ces composés à ces mêmes concentrations peut néanmoins causer un effet (Silva, 2002).

Pour mieux comprendre ce phénomène, rien de vaut en exemple. L’étude de Silva (graphique ci-dessous) a testé l’effet de 8 composés œstrogéniques (8 perturbateurs endocriniens) par un test particulier (le test YES) évaluant la puissance de l’effet perturbant (qu’on nomme « potentiel œstrogénique »).

Les résultats de cette étude montrent que l’effet de chacun des composés pris séparément est pratiquement nul (« barres » 1 à 8). Si on fait, par calcul, la somme de ces effets, on arrive à un effet, là encore, très faible (barre « ES » sur le graphique). En revanche, on voit que si on mélange ces composés, l’effet de l’ensemble est beaucoup plus fort (barre « mix » sur le graphique). En mélange, on a donc parfois un effet « 1+1=3 ». Mais on peut aussi observer le phénomène inverse: l’effet de plusieurs composés peut s’annuler. On a ainsi un effet 1+1=0.

II. EFFETS DES PERTURBATEURS ENDOCRINIENS SUR L’ENVIRONNEMENT

Les rejets des stations d’épuration ainsi que d’autres types d’introduction de ces polluants (ex : pesticides introduits par ruissellement dans les rivières) répandent un très grand nombre de perturbateurs endocriniens dans l’environnement.

Ainsi, depuis les années 60, les scientifiques ont mis en évidence différentes anomalies dans les populations animales, attribuables aux effets délétères de certains perturbateurs endocriniens. Ces effets ont été observés chez des populations de poissons, de reptiles, invertébrés ou encore d’oiseaux.

1. Un pesticide qui altère la reproduction de populations d’oiseaux

Le DDT (dichlorodiphényldichloroéthane) est un insecticide de la famille chimique des organochlorés. Ce produit a été intensément utilisé à partir du début de la deuxième guerre mondiale contre les insectes ravageurs des cultures et les insectes porteurs de maladie (malaria, typhus…) avec un certain succès (INERIS, 2007).

Publicité sur le DDT, un pesticide ayant des effets perturbateurs endocriniens sur l'environnement.
Publicités pour l’utilisation du DDT comme insecticide

Cependant, ce pesticide a également démontré des effets toxiques très importants vis à vis des populations aquatiques et terrestres dans les régions régulièrement traitées pour la démoustication. Selon différents auteurs, le DDT est en partie responsable du déclin sévère des populations européennes et nord-américaines d’oiseaux piscivores (mangeurs de poissons) et des oiseaux de proie, à cause d’un amincissement de la coquille des œufs (Hickey, 1968 ; Ratcliffe, 1970 ; Peakall, 1970).

En effet, le DDT, ingéré à travers la consommation de poissons, empêche la formation normale de la coquille d’œuf. Celle-ci est parfois si fine qu’elle se casse lors de la couvée. Bien qu’interdit depuis les années 1970 dans les pays occidentaux (principalement pour des raisons écologiques), on le retrouve encore aujourd’hui dans les sols et les eaux en raison de sa faible biodégradabilité.

Amincissement de la coquille d'oeuf chez les grebes (accident du Clear Lake) et faucons à cause du DDT
Amincissement de la coquille d’œuf chez les grèbes (accident du Clear Lake) et faucons – Source : Vasseur, 2006 – Licence : tous droits réservés

2. Le TBT: un composé qui masculinise des femelles escargots

Le Tributylétain (TBT) est un produit essentiellement utilisé dans les antifoulings (peinture antisalissure destinée à empêcher la fixation des organismes aquatiques sur la coque des bateaux) dès les années 1960 mais surtout dans les années 1970 avec l’explosion de la construction navale et de la plaisance. Depuis 2008, il est interdit de l’utiliser sur les navires en France.

Dans les années 80, ce produit a été accusé de « masculiniser » des femelles d’une espèce d’escargot marin: Nucella lapillus (Gibbs et Bryan, 1987 ; Bryan, 1988). Ce phénomène constitue le cas le plus évident de perturbation endocrine par un polluant chimique. Le TBT est responsable du déclin et même de l’extinction de populations locales de cet escargot dans le monde entier.

Les scientifiques ont avancé deux explications pour expliquer cette masculinisation des femelles:

  • inhibition de l’aromatase par le TBT: l’aromatase est une enzyme responsable de la « conversion » de la testostérone, hormone « masculine », en oestradiol, hormone « féminine ». Or, selon certains scientifiques, le TBT empêcherait l’aromatase de jouer son rôle. Ainsi, les escargots femelles ne produiraient plus d’oestradiol, ce qui entrainerait leur masculinisation (Matthiessen et Gibbs, 1998 ; Fent, 1996).
Inhibition de l'aromatase par le TBT, un perturbateur endocrinien ayant des effets sur l'environnement
  • l’augmentation de la libération de PMF (Penis Morphogenic Factor) : le PMF est un neuropeptide hormonal qui induit la différentiation mâle chez les mollusques. Selon Oberdorster et McClellan-Green (2002), le TBT augmenterait la libération de PMF, induisant ainsi une masculinisation des femelles escargots.

3. Et bien d’autres effets écologiques

Bien d’autres effets, dont les perturbateurs endocriniens sont suspectés d’être à l’origine, ont été observés par les scientifiques. On peut par exemple citer:

Alligator
Des alligators du lac Apopka, en Floride, ont subi un développement anormal des organes sexuels et des anomalies fonctionnelles à cause du DDT – Source : Duhaudt-routard.com, 2011

III. VERS UNE MEILLEURE PRISE EN COMPTE DES PERTURBATEURS ENDOCRINIENS

Pour s’attaquer au problème, l’État a lancé en 2008 un Programme National de Recherche sur les Perturbateurs Endocriniens (PNRPE). Par ailleurs, l’interdiction du Bisphénol A dans les biberons dans différents pays et les différents projets de loi visant à limiter l’utilisation de certains perturbateurs endocriniens prouvent que les politiques commencent à prendre conscience de ce problème.

Néanmoins, de nombreux perturbateurs endocriniens (PCB, phtalates, pesticides, etc.) sont présents dans le milieu naturel sans que l’on comprenne précisément leurs effets sur les écosystèmes et la santé humaine.

Pour mieux appréhender ce risque, il est donc nécessaire:

  • de poursuivre la recherche : pour mieux comprendre l’effet des mélanges de perturbateurs endocriniens, pour développer des méthodes permettant de détecter les effets de ces composés dans un milieu naturel, etc.
  • une meilleure coordination internationale : notamment pour limiter l’utilisation ou interdire certains composés dangereux pour l’environnement.
  • améliorer la communication vis à vis du public : pour limiter l’utilisation de produits contenant des perturbateurs endocriniens et ainsi réduire les rejets de ces composés dans l’environnement.


Article rédigé par Vivien Lecomte, mis à jour le 3 janvier 2012 – Ecotoxicologie.fr : tous droits réservés

EN SAVOIR PLUS…

PNRPE.fr : Site du Programme National de Recherche sur les Perturbateurs Endocriniens
ANSES.fr : Site de l’Agence Nationale de Sécurité Sanitaire de l’Alimentation, de l’Environnement et du Travail – page dédiée aux perturbateurs endocriniens
Fiche ONEMA : Les perturbateurs endocriniens dans l’environnement aquatique, novembre 2009
Colloque Perturbateurs endocriniens et biodiversité : colloque du 28 avril 2011, organisé par le Réseau Environnement Santé et WWF.
Edlists.org : ce site répertorie la liste des substances reconnues comme étant des perturbateurs endocriniens dans la réglementation européenne sur les produits chimiques.

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