Les substances per- et polyfluoroalkylées (PFAS) : quel risque ces « polluants éternels » font-ils peser sur l’environnement ?
PAR Sarah Berns, Théo Ciccia, Ludovic Faravel, Ophélia Gestin et Léa Tison
(N’hésitez pas à commenter l’article en bas de page 🙂 )
La famille des per- et polyfluoroalkylées (PFAS) regroupe environ 5 000 molécules chimiques synthétiques présentant des chaînes carbonées plus ou moins longues ainsi que des atomes de fluor (cf. Figure 1). En raison de leurs propriétés antiadhésives, de résistance aux fortes chaleurs et d’imperméabilité, ces molécules sont utilisées dans de nombreux domaines comme l’automobile, le textile, les emballages alimentaires, les poêles antiadhésives, les cosmétiques ou encore l’électronique (Podder et al., 2021 ; ANSES.fr, 2022).
Des polluants « éternels » omniprésents dans l’environnement
Produits depuis le début des années 1950, les PFAS sont aujourd’hui omniprésents dans l’environnement (Sinclair et al., 2020) où ils sont rejetés tout au long de leur cycle de vie, de leur production à la destruction des produits qui en contiennent (Ahrens et Bundschuh, 2014). Résistants à toute forme de dégradation (Al Amin et al., 2020), les PFAS sont fortement persistants dans l’environnement (de quelques décennies à plusieurs siècles), d’où leur surnom de « polluants éternels ».
Un article du journal Le Monde datant de Février 2023 a recensé les sites contaminés et présumés contaminés par les PFAS en Europe, montrant qu’aucun pays et aucune région ne sont épargnés (Figure 2). Récemment, 160 PFAS de 42 classes différentes ont été détectés dans des déchets organiques utilisés comme engrais et épandus sur les sols agricoles français. Les quantités de PFAS retrouvées sont assez faibles dans les déchets issus de l’agriculture (lisier de porc, fumier de volailles et de vaches laitières) mais élevées dans les déchets urbains et industriels (boues de papeterie, boues de stations d’épuration, composts d’ordures ménagères) (Munoz et al. 2021).
Des polluants toxiques qui voyagent et s’accumulent dans les organismes vivants
Les PFAS peuvent voyager sur de longues distances puisqu’ils sont solubles dans l’eau, mobiles dans les sols, possèdent de longues durées de vie et ne sont pas métabolisés par les organismes (Henry et al. 2018). Les PFAS ne restent donc pas forcément à l’endroit où ils ont été répandus. Via la circulation océanique et les courants atmosphériques, ils peuvent être transportés à large échelle, jusque dans des milieux isolés, comme l’Arctique et l’Antarctique.
De plus, les PFAS ont la capacité de se « bioaccumuler » dans les organismes. Cette bioaccumulation diffère selon la longueur de la chaîne carbonée de la molécule PFAS en question. Ainsi, chez les plantes terrestres, les PFAS à chaînes longues vont s’accumuler et être stockés au niveau des racines tandis que ceux à chaînes courtes vont s’accumuler dans les feuilles, les fruits et les graines. L’accumulation de PFAS dans les plants de maïs, de blé et d’arabette des dames perturbe les mécanismes de photosynthèse et de photorespiration. De plus, les plantes exposées auront tendance à avoir un taux de germination moins important, une croissance plus lente et des racines plus courtes que les plantes non exposées (Ebinezer et al., 2022).
Dans les milieux terrestres, les études portant sur le transfert des PFAS au sein de la chaîne alimentaire sont rares. Une étude américaine a étudié ce transfert dans le cas de la consommation de plants de tomates par la Chenille du sphinx du tabac Manduca sexta (Judy et al. 2022). Les résultats ont mis en évidence que les PFAS avec les chaînes carbonées les plus longues auraient tendance à s’accumuler plus facilement dans les organismes (ou s’éliminer plus difficilement) que les chaînes plus courtes.
Dans les milieux aquatiques, les organismes absorbent les PFAS par le biais de la nourriture qu’ils consomment et par contact direct avec l’eau. Une fois que les PFAS sont entrés dans un organisme, ils peuvent se distribuer dans différents organes et tissus, comme le sang, les tissus adipeux (graisse), le foie et les reins et s’y accumuler (bioaccumulation) (Vidal, 2019). Les poissons y sont particulièrement sensibles car ils consomment d’autres organismes aquatiques qui contiennent eux-mêmes des PFAS, entraînant un effet boule de neige nommé « biomagnification » (figure 3). Une fois accumulés dans les poissons, les PFAS peuvent perturber leur système endocrinien (hormones), leur croissance, leur reproduction, et causer des malformations congénitales, perturbant ainsi la santé des écosystèmes aquatiques. Au sommet des réseaux trophiques, les grands mammifères qui consomment les poissons contaminés, comme les ours polaires ou les phoques, se retrouvent ainsi fortement exposés aux PFAS (Cao et Ng, 2021).
Ils traversent les barrières de protection des organismes
Une fois accumulés dans les organismes, qu’ils soient aquatiques ou terrestres, les PFAS impactent les systèmes hormonaux et immunitaires, et peuvent traverser les barrières naturelles de protection interne. Parmi ces dernières, les PFAS peuvent traverser la barrière hémato-encéphalique des vertébrés, qui sert normalement à limiter le passage des agents pathogènes et des molécules toxiques du sang vers le cerveau. Ils peuvent ainsi perturber le fonctionnement du cerveau et les fonctions d’apprentissage et de mémoire (Cao et Ng, 2021). Les PFAS sont également capables d’être transmis directement du parent femelle à l’embryon, puisque ces molécules ont été détectées dans des œufs d’oiseaux, de poissons et de reptiles, et qu’ils peuvent traverser la barrière placentaire des mammifères. Cette accumulation de PFAS dans les fœtus peut conduire à un retard de développement des fœtus, des fausses couches tardives, des malformations congénitales et des nouveaux-nés présentant un faible poids à la naissance (Beale et al., 2022 ; Gaballah et al., 2020 ; Parolini et al., 2022).
Concernant la santé humaine, les PFAS ont été classés par l’Union Européenne en 2019 comme cancérogènes probables (c.-à-d. pouvant être impliqués dans l’apparition de cancers), notamment au niveau du foie, des glandes mammaires, des reins et des testicules.
Un risque environnemental difficile à évaluer
Il est pour l’heure difficile d’évaluer avec certitude le risque environnemental global des PFAS. Tout d’abord car la dénomination “PFAS” englobe plusieurs milliers de variants moléculaires (versions différentes de molécules à partir d’une même base) aux potentiels toxiques différents (MacCarthy et al., 2021). Ensuite, parce qu’ils sont généralement présents dans l’environnement à de plus faibles concentrations que celles étudiées en laboratoire… mais sur des périodes beaucoup plus longues (exposition chronique) (von der Trenck et al., 2018). Enfin, parce que dans le milieu naturel, ils sont mélangés à une multitude d’autres contaminants comme les plastiques, les métaux ou les pesticides. Ainsi, les effets néfastes provoqués par certaines molécules considérées indépendamment les unes des autres peuvent s’additionner lorsque celles-ci sont mélangées (Flynn et al., 2019) mais aussi se multiplier (synergisme) ou s’atténuer (antagonisme).
Réduire cette pollution
Malgré ces inconnues, il est indéniable que la contamination des milieux par les PFAS est préoccupante. L’un des leviers permettant de réduire cette pollution est la remédiation. Cette dernière consiste en la dépollution d’un sol ou d’un cours d’eau en utilisant diverses techniques, soit à l’aide de techniques physiques ou chimiques (dites “conventionnelles”), soit en utilisant de nouvelles approches de traitement biologiques. Les traitements biologiques des sols exploitent la capacité de bioaccumulation des végétaux ainsi que des micro-organismes qui leur sont associés pour réhabiliter les sites pollués. Cette technique appelée “phytoremédiation” consiste à utiliser des végétaux afin de dégrader, stabiliser, ou éliminer des contaminants du sol (Sterckeman et al., 2011). Comme nous avons vu que les PFAS à chaînes courtes s’accumulent principalement dans les parties végétatives, les plantes peuvent être coupées ou arrachées, afin d’éliminer “proprement” les contaminants accumulés.
Les technologies conventionnelles de traitement pour capter les contaminants, par exemple en utilisant du charbon actif (Gagliano et al., 2020), ne semblent pas être les plus adaptées pour les PFAS (Bell et al., 2021). Le principal inconvénient de ces techniques reste le coût élevé des équipements ainsi que l’élimination des déchets générés suite au traitement, qui peut libérer d’autres substances chimiques nocives (Park et al., 2020). La phytoremédiation d’un site contaminé par des PFAS peut être un processus lent, mais cette technique à faible coût reste la plus économique et la plus durable.
La réglementation est un autre levier pour réduire cette pollution. Suite à une politique réglementaire internationale, la production de PFAS à courtes chaînes est privilégiée depuis plusieurs décennies, puisque la persistance d’une molécule de PFAS dans l’environnement est dépendante de la longueur de sa chaîne carbonée (Bolan et al., 2021). Cependant, même si elles sont moins persistantes dans l’environnement, les molécules à chaînes courtes sont plus mobiles et de récentes études montrent qu’elles ne seraient pas forcément moins nocives que leurs homologues à chaînes longues. À ce jour, seuls le PFOS (acide perfluorooctanesulfonique), le PFOA (acide perfluorooctanoïque) et le PFHxS (acide perfluorohexanesulfonique) sont bannis, restreints ou en cours de restriction en Europe. Parmi ces trois composés, le PFOS est le seul à avoir une norme de qualité environnementale à laquelle comparer sa concentration dans les eaux de surface. En France, une vingtaine de PFAS sont surveillés au niveau des eaux souterraines. Au regard des préoccupations grandissantes concernant l’impact des PFAS sur les écosystèmes et la santé humaine, un plan d’action a été mis en place en France pour la période de 2023 à 2027. Ce plan vise à limiter au maximum les risques liés aux PFAS en réduisant leurs émissions, en améliorant la connaissance des rejets et de l’imprégnation dans les milieux et en assurant une transparence complète concernant les informations disponibles.
Au niveau international, l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) a présenté en février 2023 une proposition visant à interdire ou fortement restreindre l’utilisation des PFAS à partir de 2025. Si elle est adoptée, cette proposition constituerait une avancée historique dans la lutte pour un monde sans pollution chimique.
Article posté le 6 juillet 2023 par (de gauche à droite sur la photo) :
- Ophélia Gestin, Dr, post-doctorante de l’unité Toxicologie expérimentale et modélisation (TEAM), direction Milieux et Impacts sur le Vivant (MIV), INERIS
- Léa Tison, Dr, post-doctorante INRAE, UMR1065 SAVE / Université de Bordeaux, UMR1366 OENO
- Théo Ciccia, doctorant EDF R&D, Laboratoire national d’hydraulique et environnement (LNHE)
- Ludovic Faravel, doctorant du Laboratoire Interdisciplinaire des Environnements Continentaux (LIEC), Université de Lorraine/CNRS, UMR 7360
- Sarah Berns, doctorante du Laboratoire Sols et Environnement (LSE), Université de Lorraine/INRAE, UMR 1120
Cet article a été approuvé par la société savante française S.E.F.A. (Société d’Écotoxicologie Fondamentale et Appliquée), dont l’objectif, depuis 1983, est de faire progresser les éléments fondamentaux et appliqués de l’écotoxicologie par la recherche, la surveillance, la gestion, la réglementation et l’enseignement. Elle vise à rassembler les experts du domaine et ceux qui s’intéressent à l’écotoxicologie en encourageant la coopération et la communication.
2 commentaires
Germain Brillon
Beau travail, publication intéressante. En espérant qu’il y aura des suites
MAAF Toulouse
Publication très intéressante ! J’ai beaucoup appris en lisant cet article. J’espère qu’il y aura d’autres articles du même calibre à venir