Huiles essentielles et autres produits à base de plantes : quel risque pour l’environnement ?
Les huiles essentielles, largement présentes dans de nombreux produits du quotidien, contiennent des dizaines de substances actives (plus ou moins) toxiques pour certains organismes vivants. C’est d’ailleurs pourquoi elles sont utilisées dans l’industrie pharmaceutique, en aromathérapie ou en tant que biopesticides. Lors de leur production ou de leur usage, une fraction d’entre elles peut être rejetée dans le milieu naturel. Se pose alors une question : les huiles essentielles et autres produits à base de plantes présentent-ils un risque pour l’environnement ?
1. Les produits à base de plantes ont le vent en poupe
Les huiles essentielles (HE) et les extraits végétaux sont utilisés depuis des siècles dans la médecine traditionnelle, la cuisine, la parfumerie et les cosmétiques en raisons de leurs multiples propriétés (Rios, 2016). Le XIXème siècle marque le début de leurs applications industrielles (Brud, 2020). Ces dernières années, ces produits font l’objet d’un vrai engouement, profitant d’une aspiration légitime des citoyens à utiliser des produits sains, naturels et écologiques, et de la demande croissante d’arômes et de parfums par les industries. Les HE en particulier voient leur production grimper en flèche et sont largement utilisées dans les secteurs de l’agro-alimentaire, dans les produits cosmétiques, en aromathérapie, dans les produits ménagers, dans les produits pharmaceutiques ou encore dans les produits phytosanitaires (on parle de « biopesticides ») (Figure 1).
Les estimations diffèrent, mais on retiendra que la production mondiale d’HE aurait triplé entre 1990 (environ 45 000 Tonnes) et 2017 (environ 150 000 Tonnes), pour représenter un marché d’environ 6 milliards de dollars (Onder et al, 2018). Une étude récente prévoit que celle-ci devrait continuer à augmenter de façon significative, sous l’effet d’une demande mondiale croissante qui s’élèverait à 473 000 Tonnes en 2027 (Ferraz et al, 2022a).
Huiles essentielles, hydrolats, extraits végétaux : de quoi parle-t-on ?
Une huile essentielle est une partie volatile d’une matière première végétale (fleur, feuille, tronc, écorce, peau de fruit, etc.), obtenue par distillation à la vapeur d’eau (cas le plus fréquent), par distillation sèche (pour les résineux) ou par expression à froid (pour les agrumes). En cas d’emploi d’un solvant lors de la distillation (hexane, éther, etc.) ou de toute autre méthode d’extraction, on ne parle alors plus d’huiles essentielles mais d’« extraits végétaux » qui peuvent porter différents noms : concrètes, absolues, résinoïdes, oléorésines, etc. L’hydrolat, désigné sous le nom d’« eau florale » dans le cas des fleurs, est quant à lui un sous-produit du processus de distillation des huiles essentielles.
2. Des effets environnementaux encore peu étudiés, malgré des enjeux réels
2.1 L’environnement, parent pauvre des études scientifiques sur les produits à base de plantes
En dépit de l’importance de leur production, l’impact environnemental des HE et des extraits végétaux reçoit pour l’heure peu d’attention de la part de la communauté scientifique. En effet, d’après une revue de littérature réalisée par une équipe de chercheurs portugais en 2022 (Ferraz et al, 2022a), seules 2 % des études académiques menées sur ces produits au cours des vingt dernières années ont été publiées dans la catégorie « science de l’environnement ». L’essentiel des études porte sur leurs propriétés antibactériennes et antifongiques ainsi que sur leur potentiel de développement dans les domaines des biopesticides, de la pharmacie et de l’industrie. L’idée sous-jacente que les plantes et leurs composants sont naturels et sans danger pourrait expliquer ce manque d’études environnementales.
2.2 Pourtant, certaines molécules présentes dans ces produits peuvent être toxiques
Les chercheurs portugais mentionnés plus haut affirment qu’« il est fondamental d’étudier l’écotoxicité* de ces produits », et ce pour plusieurs raisons. La première raison est que certaines plantes desquelles sont issus ces HE et extraits végétaux peuvent produire des molécules chimiques potentiellement toxiques (Falkowski et al., 2020). Appelées « métabolites secondaires », ces molécules permettent notamment aux plantes d’attirer les pollinisateurs (ex. : les flavonoïdes qui donnent une coloration aux fleurs et aux fruits), mais aussi de se défendre contre les prédateurs (ex. : les glycosides cyanogènes, qui agissent comme un poison) et les agents pathogènes (ex. : les phénols simples qui sont des antimicrobiens) et d’agir contre d’autre plantes en compétition (Bouaziz, 2014) (Figure 2).
Or, fabriquer un produit à base de plantes consiste justement à extraire ces métabolites secondaires présents dans l’un des organes de la plante, pour obtenir un produit concentré de composition complexe et aux vertus multiples. Une HE est ainsi un assemblage de plusieurs dizaines de molécules actives, à des concentrations jusqu’à 100 fois plus importantes que dans les plantes d’où elles sont extraites (Lebon, 2020). D’ailleurs, les utilisations des HE dans l’industrie pharmaceutique, en aromathérapie ou en tant que biopesticides montrent bien qu’elles peuvent contenir des substances hautement actives et toxiques vis-à-vis de certaines espèces (bactéries, champignons, vers, etc.).
2.3 Une fraction de ces produits peut être rejetée dans l’environnement
Outre la toxicité potentielle de certaines molécules, le risque environnemental lié à ces produits à base de plantes mérite d’être évalué du fait qu’une fraction d’entre eux peut être rejetée dans les différents compartiments de l’environnement (sol, air et eau) et se retrouver en contacte avec des organismes vivants. En effet, des déversements accidentels ou des rejets diffus peuvent avoir lieu lors du procédé d’extraction ou lors de la fabrication de produits contenants des HE, hydrolats ou extraits végétaux (lessives, produits agro-alimentaires, médicaments, biopesticides, parfums, etc.). En outre, en cas d’ingestion d’HE pour un usage thérapeutique ou alimentaire, les molécules aromatiques qui les composent (ex. : eugénole, safrole, anethole, etc.) sont majoritairement éliminées via les urines, et se retrouvent ainsi rejetées dans le réseau d’eaux usées (« égout ») (Poirot, 2016). On peut aussi imaginer qu’il en est de même pour une fraction des produits à base de plantes contenus dans les produits ménagers (lessives, produits de nettoyage des toilettes, etc.). Enfin, dans le cas particulier des biopesticides, ces produits sont directement appliqués dans l’environnement et sont donc en contact étroit avec les organismes qui y vivent.
2.4 Ce risque est pris en compte par la réglementation européenne
Le risque sanitaire et environnemental des produits à base de plantes est pris en compte par la réglementation européenne. Ces produits doivent tout d’abord répondre à des obligations d’étiquetage visant à s’assurer que les dangers éventuels et les précautions d’emploi soient clairement communiqués aux utilisateurs. Ces obligations sont différentes selon l’usage revendiqué par le producteur de l’HE (Ineris, 2024). Les étiquetages les plus courants sont l’étiquetage « arômes alimentaires » (règlements européens n°1334/2008 et 1169/2011)[1] et l’étiquetage CLP (règlement N°1272/2008) (CIHEF, 2024) (voir Figure 3). L’étiquetage CLP est notamment utilisé lorsque le produit est vendu pour un usage de parfum d’ambiance, comme un ingrédient de produits ménagers ou comme une matière première destinée à la fabrication de produits cosmétiques. Il comprend notamment des mentions types (ex. : « peut provoquer une allergie cutanée ») et des pictogrammes (Ineris, 2024).
La plupart des HE sont également concernées par le règlement européen REACH[2], qui vise à protéger la santé humaine et l’environnement vis-à-vis du risque lié aux substances chimiques. Ainsi, comme c’est le cas pour les substances chimiques (ex. : les PFAS), les entreprises qui fabriquent ou importent une HE dans des quantités supérieures ou à égales à 1 tonne par an sont tenues de constituer et de transmettre un dossier d’enregistrement à l’agence européenne des produits chimiques (ECHA) contenant des informations sur les propriétés physico-chimiques, toxicologiques et écotoxicologiques (ex. : résultats de bioessais de toxicité sur des micro-crustacés et sur des algues) de l’HE considérée (EFEO et IFRA, 2016). Dans certains cas, ce dossier comprend également une évaluation du risque. A ce jour (8 avril 2024), le site de l’ECHA répertorie 168 huiles essentielles enregistrées au titre de REACH (https://chem.echa.europa.eu/).
A noter que les producteurs d’HE ont vivement réagi face à cette réglementation, qu’ils jugent complexe et inadaptée. Inadaptée aux HE, qui sont issues de produits agricoles et dont la composition est très variable (voir encadré plus bas). Inadaptée également aux distillateurs (en charge de l’enregistrement), dont la petite taille et le rôle de prestataire préparent mal à des procédures conçues pour des industries chimiques (Résolution n°823 de l’Assemblée nationale du 9 avril 2022). Selon l’assemblée nationale, l’adaptation de la filière française des huiles essentielles au règlement REACH a coûté 1,2 million d’euros et n’a pu se faire qu’avec le soutien des pouvoirs publics. En 2022, le gouvernement a créé un comité interministériel pour la sauvegarde des huiles essentielles qui réunit les parties prenantes du sujet et doit permettre de clarifier leurs attentes en vue de la future révision de REACH.
Pourquoi est-il complexe d’analyser une huile essentielle selon les critères de REACH ?
Voici quelques-unes des spécificités des HE qui complexifient la mise en œuvre des essais à mener dans le cadre de REACH (FranceAgriMer, 2022) : une HE contient une multitude de molécules ; la composition d’une HE est variable ce qui engendre un questionnement sur la représentativité des échantillons testés ; l’absence de poids moléculaire d’une HE fait qu’il n’est pas possible d’appliquer toutes les méthodes requises in vitro pour évaluer le caractère sensibilisant cutanée ; le test de détermination du log Kow n’est pas applicable sur l’HE en elle-même ; certains constituants ne sont pas biodisponibles pour les bioessais d’écotoxicologie (ex. : une molécule qui n’est pas suffisamment soluble dans l’eau).
3. Quel est le risque environnemental associé à ces produits à base de plantes ?
3.1 Le risque dépend de la dangerosité de la substance et de l’exposition environnementale
La question de l’évaluation du risque environnemental lié aux produits à base de plantes mérite donc être posée, et ce d’autant plus que leur production devrait augmenter au cours des prochaines années.
Avant d’entrer dans le détail de cette évaluation du risque, reprenons les bases. Le risque, c’est la combinaison d’un danger et d’une exposition (Figure 4). Pour prendre un exemple très simple, imaginez que vous vous promenez au bord d’une falaise avec, dans un premier cas, une barrière tout le long du chemin, et dans un second cas, aucune barrière. Quelle que soit la situation, la falaise représente un danger important, mais dans le premier cas, la barrière permet d’être faiblement exposé à ce danger : le risque de tomber est donc faible. En revanche, dans le second cas, l’absence de barrière induit une forte exposition au danger : le risque de tomber est donc élevé.
Pour l’évaluation du risque environnemental lié à une substance chimique ou à un produit, le principe est le même, avec :
- D’une part, le danger, qui correspond à la toxicité de la substance vis-à-vis des organismes aquatiques ou terrestres (écotoxicité). Dans le cadre du règlement REACH, l’entreprise productrice d’une substance a ainsi la charge de déterminer une PNEC (Predicted No Effect Concentration) qui est la plus forte concentration de la substance ne présentant pas de risque pour l’environnement. Cette PNEC est généralement déterminée sur la base de résultats de bioessais menés sur des algues, des daphnies (petits crustacés d’eau douce) et des poissons, ou à défaut de données suffisantes, via des approches de modélisation ;
- D’autre part, l’exposition, qui correspond à la concentration de la substance dans les différents compartiments de l’environnement (eau, sédiments, sol, etc.). Dans le cadre de REACH, l’entreprise doit ainsi déterminer une PEC (Predicted Environmental Concentration) qui est la concentration prédite de la substance dans l’environnement. Cette PEC est déterminée sur la base des quantités produites, des conditions d’usage et des propriétés physico-chimiques de la substance. Elle dépend aussi des mesures de gestion des risques et de limitation de l’exposition environnementale appliquées par les industriels (ex. : la mise en œuvre d’un traitement des eaux usées qui permet d’éliminer la substance concernée).
Comme le résume Mathieu Rolland, expert REACH dans le cabinet de consultants CEHTRA, « l’évaluation du risque lié aux huiles essentielles est faite au cas par cas en fonction de leurs compositions et donc de leur propriétés intrinsèques (l’étiquetage des HE permet de savoir si la substance est classée comme dangereuse pour l’environnent ou non) mais également au regard des quantités et types d’utilisations plus ou moins exposantes de l’environnement, et de la présence ou non de mesures de gestion des risques plus ou moins efficaces ».
Les limites du règlement REACH
La législation européenne régissant la mise sur le marché des produits et matériaux, bien qu’étant probablement la plus exigeante au monde, n’est aujourd’hui pas dimensionnée pour prévenir les impacts environnementaux des substances chimiques. Les limites du règlement REACH en sont une illustration : les tests réalisés ne concernent que les substances produites ou importées en quantité supérieure à 1 tonne par an, ne prennent pas en compte les effets « cocktails » (synergie possible avec les autres contaminants présents dans les eaux) et étudient rarement les impacts liés à une exposition chronique (long terme).
3.2 La plupart de ces produits sont (plus ou moins) toxiques pour les organismes aquatiques
Intéressons tout d’abord au danger, c’est-à-dire à la toxicité de ces produits à base de plantes vis à vis des organismes vivants. Le tableau ci-dessous permet d’apprécier la toxicité aiguë (c’est-à-dire les effets à court terme) des HE les plus produites dans le monde (orange, menthe des champs, citron, eucalyptus, menthe poivrée, lavandin, etc.) vis-à-vis des micro-algues, des daphnies (petits crustacés d’eau douce) et des poissons. Il contient également des informations pour des HE largement utilisées en aromathérapie (arbre à thé, lavande, citronnelle, etc.) ainsi que pour des hydrolats et des extraits végétaux. Les données ayant permis de concevoir ce tableau sont principalement issues d’une recherche sur la base de données de l’ECHA et de la revue de littérature scientifique précédemment mentionnée (Ferraz et al, 2022a).
Que nous apprend ce tableau ?
D’abord, que la très grande majorité de ces produits présente une toxicité (le plus souvent « faible » ou « moyenne ») vis-à-vis d’au moins un des organismes aquatiques étudiés. C’est la raison pour laquelle les fiches de sécurité de la plupart des huiles essentielles contiennent la mention « Nocif pour les organismes aquatiques ». Ces produits étant des cocktails de molécules actives, le lien entre la toxicité observée et le ou les composé(s) responsable(s) de cet effet est souvent difficile à établir (Ferraz et al, 2022a).
Les données compilées révèlent également des différences importantes entre les produits, avec certains faiblement toxiques vis-à-vis des trois groupes d’organismes comme les HE de lavande et de lavandin, et d’autres plus toxiques comme les HE de citron, d’orange, de menthe des champs et de menthe poivrée. L’HE d’eucalyptus est quant à elle la seule à être « très toxique » à court terme vis-à-vis d’un organisme : une concentration inférieure à 1 mg/L est suffisante pour induire une baisse de 50 % de la croissance des algues[4]. Certaines HE peuvent également avoir des effets chroniques (sur le long terme). C’est le cas de l’HE d’orange douce, utilisée entre autres comme biopesticide (Fiche de données sécurité, 2018).
En outre, les informations contenues dans ce tableau montrent que certains produits à base de plantes peuvent être toxiques vis-à-vis de certains organismes et non toxiques pour d’autres. C’est le cas par exemple de l’HE de Genévrier occidental, qui est moyennement toxique pour les micro-algues mais non toxique pour les daphnies, tandis que le phénomène inverse est observé pour l’HE du Cyprès de Lawson.
Enfin, l’exemple du lavandin illustre le fait que les extraits végétaux sont dans l’ensemble moins toxiques que les HE (Ferraz et al, 2022a).
Espèce végétale | Type de produit | Micro-algue | Daphnie | Poisson | Source des données |
Absinthe (Artemisia absinthium) | Hydrolat | Non toxique | Moyennement toxique | / | Rosa Pino-Otin et al., 2019 |
Arbre à thé (Melaleuca dissitiflora) | Huile essentielle | Faiblement toxique | Faiblement toxique | Moyennement toxique | ECHA |
Citron | Huile essentielle | Moyennement toxique | Moyennement toxique | Moyennement toxique | ECHA |
Citronelle | Huile essentielle | Faiblement toxique | Moyennement toxique | Moyennement toxique | ECHA |
Cyprès de Lawson (Chamaecyparis lawsoniana) | Huile essentielle | Non toxique | Moyennement toxique | / | Ferraz et al., 2022a |
Eucalyptus (Eucalyptus globulus) | Huile essentielle | Très toxique | Moyennement toxique | Faiblement toxique | ECHA |
Genévrier occidental (Juniperus occidentalis) | Huile essentielle | Moyennement toxique | Non toxique | Non toxique | Ferraz et al., 2022a |
Lavande (Lavandula angustifolia) | Huile essentielle | Faiblement toxique | Faiblement toxique | Faiblement toxique | CIHEF, 2019a |
Lavandin (Lavandula hybrida) | Huile essentielle | Faiblement toxique | Faiblement toxique | Faiblement toxique | CIHEF, 2019b |
Lavandin (Lavandula hybrida) | Extrait | Faiblement toxique | Non toxique | / | ECHA |
Menthe des champs (Mentha arvensis) | Huile essentielle | Moyennement toxique | Moyennement toxique | Moyennement toxique | ECHA |
Menthe poivrée (Mentha x piperita) | Huile essentielle | Moyennement toxique | Moyennement toxique | Moyennement toxique | ECHA |
Orange (douce) | Huile essentielle | Moyennement toxique | Moyennement toxique | Moyennement toxique | ECHA |
Thym capiteux (Thymbra Capitata) | Huile essentielle | / | Faiblement toxique | / | Ferraz et al, 2022b |
Thym capiteux (Thymbra Capitata) | Hydrolat | / | Non toxique | / | Ferraz et al, 2022b |
3.3 Mais l’exposition des organismes à ces produits est probablement faible
L’exposition des organismes aquatiques aux produits à base de plantes est a priori faible, et ce pour plusieurs raisons (sources : dossiers REACH du site de l’ECHA et fiches de données sécurité des produits) :
- Les HE, les hydrolats et les extraits végétaux sont « rapidement dégradables » ;
- Les HE sont, par nature, peu ou pas solubles dans l’eau ;
- Ces produits ne contiennent pas de substances identifiées comme « bioaccumulables » (c’est-à-dire ayant la propriété de s’accumuler dans les tissus vivants) ;
- Les résidus de ces produits sont, pour les principaux usages (c.a.d. agro-alimentaire, cosmétiques, produits ménagers, produits pharmaceutiques et aromathérapie), déversés dans un réseau d’eau usée (« égouts ») puis subissent un traitement en station d’épuration. Compte-tenu de leur biodégradabilité et de leur volatilité, ce traitement permet probablement d’éliminer les éventuels résidus restants.
Ainsi, la fraction des produits à base de plantes qui parvient aux milieux aquatiques est probablement extrêmement faible… même si, à ma connaissance, aucune analyse de terrain ne le prouve à ce jour. En effet, en parcourant la base de données européenne NORMAN, vous pourrez vous rendre compte qu’il n’existe aucun résultat d’analyse concernant le linanol, le menthol et le limonene, composants principaux des HE de lavandin, de menthe poivrée et d’orange douce. Rien d’étonnant : comme les propriétés physico-chimiques de ces produits tendent à montrer qu’on ne les retrouvera pas dans le milieu aquatique, alors on ne les cherche pas.
Sur ces bases et dans l’état actuel des connaissances, le risque environnemental associé aux principaux usages de ces produits à base de plantes est donc probablement faible.
Quelles sont les valeurs de PNEC et de PEC associées à ces produits ?
Les valeurs de PNEC (plus forte concentration de la substance ne présentant pas de risque pour l’environnement) de ces produits sont consultables sur le site de l’ECHA (en section 6 des dossiers). Par exemple, la PNEC eau douce de l’huile essentielle d’arbre à thé s’élève à 0,008 mg/L. En revanche, à l’instar de toutes les substances chimiques, les valeurs de PEC (concentration prédite de la substance dans l’environnement) ne sont pas des données publiques, ce que l’on ne peut que regretter. On peut en revanche saluer l’initiative de certains organismes tels que le RIFM (institut scientifique pour les fragrances) qui met à disposition ses évaluations de risque pour tous les ingrédients « parfum », dont certaines huiles essentielles.
3.4 Le cas particulier des biopesticides à base de plantes
Deux cas particuliers peuvent néanmoins entrainer un risque significatif vis-à-vis des organismes terrestres et aquatiques. Le premier est le déversement accidentel de produits dans le milieu naturel, qui peut induire des effets localement importants. Le second concerne l’usage de ces produits en tant que biopesticides.
Les biopesticides semblent plus sûrs que leurs homologues de synthèse
Nous avons vu que les plantes avaient évolué sur des centaines de millions d’années pour se défendre contre les parasites et les prédateurs, grâce au développement de substances chimiques de protection ayant des activités insecticides, bactéricides ou répulsives. Ces substances sont actuellement explorées comme alternatives prometteuses aux pesticides de synthèse. Les biopesticides à base de plantes présentent en effet de nombreux avantages par rapport aux pesticides conventionnels (Ferraz et al, 2022a) :
- Ils sont moins chers et plus sûrs pour les agriculteurs lors de leur manipulation ;
- Contrairement aux pesticides conventionnels qui sont basés sur un seul ingrédient actif, les formulations à base de plantes ont des chimies plus complexes qui tendent à limiter le développement des phénomènes de résistance des ravageurs ;
- La majorité de leurs composés se dégradent rapidement lorsqu’ils sont exposés au soleil, à l’air et à l’humidité ;
- En raison de leur origine naturelle, ils sont généralement considérés comme moins nocifs vis-à-vis des organismes non cibles, c’est à dire les organismes qui ne sont pas ciblés par la personne ayant appliqué le pesticide mais qui peuvent néanmoins être affectés (ex. : vers de terre, abeilles, organismes aquatiques, etc.). Ainsi, les HE d’eucalyptus, d’arbre à thé, de mélaleuque à feuilles linéaires (Melaleuca linariifolia) et de niaouli (Melaleuca quinquenervia) efficaces contre les larves du moustique Aedes aegupti (vecteur principal de la dengue, du virus Zika du chikungunya et de la fièvre jaune) sont a minima 12 000 fois moins toxiques vis à vis des daphnies que le téméphos, insecticide de synthèse[5] (Abe et al, 2014 ; Ferraz et al, 2022a) !
Mais des études complémentaires sont nécessaires
Malgré tout, les études scientifiques montrent que l’application de certains biopesticides peut représenter un risque pour les espèces non ciblées. C’est le cas par exemple de l’huile essentielle d’Ajowan (Trachyspermum ammi) utilisée en tant que larvicide de moustiques, qui ne se dégrade que lentement dans l’eau (moins de 35 % de dégradation en 7 jours) et qui présente une toxicité aigüe vis-à-vis des daphnies (Seo et al, 2012). L’étude du risque environnemental associé à ces biopesticides à base de plantes doit donc être faite au cas par cas.
Plus globalement, les chercheurs soulignent le manque de travaux s’intéressant aux effets de ces produits sur les vers de terre et les micro-organismes, des organismes qui jouent un rôle majeur dans la santé des sols et la biodiversité des écosystèmes terrestres (Ferraz et al, 2022a). Ils relèvent également un manque de données concernant la toxicité chronique (toxicité à long terme) des biopesticides… Un constat également valable pour la plupart des substances chimiques. Enfin, ils appellent à davantage de recherches pour mieux comprendre les mécanismes d’action de ces produits à base de plantes, afin d’assurer une incorporation plus sûre dans les pratiques agricoles.
Article rédigé par Vivien Lecomte le 19 juin 2024, Ecotoxicologie.fr : tous droits réservés
EN SAVOIR PLUS…
Ferraz, C.,A., Ramiro Pastorinho, M., Palmeira-de-Oliveira, A., Sousa, A. C. A. 2022. Ecotoxicity of plant extracts and essential oils: A review. Environmental Pollution. 292, 118319, ISSN 0269-7491 – https://doi.org/10.1016/j.envpol.2021.118319
EFEO, ifra. 2016. Directives relatives à l’évaluation environnementale des substances naturelles complexes (SNC). 87p. https://www.echa.europa.eu/documents/10162/2062641/eco_tox_essential_oil_guidance_ifra_fr.pdf
FranceAgriMer. 2022. Plantes à parfum, aromatiques et médicinales. État des lieux des connaissances disponibles sur l’évaluation des dangers recensés et étude de l’impact technico-économique de l’évolution des réglementations REACH et CLP sur la filière huiles essentielles françaises. 39p. https://www.franceagrimer.fr/content/download/69990/document/20221206_CEHTRA_FAM_synth_Vfinale.pdf
[1]L’écotoxicité désigne la toxicité vis-à-vis du milieu vivant, et plus globalement vis-à-vis des écosystèmes.
[2]Beaucoup de producteurs distillateurs choisissent l’étiquetage « arômes alimentaire » car il est peu contraignant et permet l’apposition du logo Agriculture Biologique (AB).
[3]Les produits naturels sont exemptés de REACH… sauf s’ils répondent aux critères de classification des substances dangereuses, ce qui est le cas de la plupart des huiles essentielles, car la majorité sont au moins irritantes pour les yeux ou inflammables (Lavande-aop.fr, 2024).
[4]Valeurs d’écotoxicité de l’HE d’eucalyptus obtenues par modélisation à partir de la toxicité connue de chacun de ses composants majeurs (« consituent approach, additivity formula ») : EC50 Daphnie = 1,02 mg/L et EC50 algue = 0,88 mg/L (source : ECHA).
[5]La CE50 (48h) du téméphos (insecticide de synthèse) est de 0,15 µg/L (Abe et al., 2014)
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4 commentaires
Marie Collard
Pour votre information, les PNECs, si elles ont été calculées (c’est-à-dire si le tonnage de la substance est >= 10 tonnes), sont disponibles ) à tout un chacun en section 6 des dossiers. Par exemple: https://chem.echa.europa.eu/100.077.588/dossier-view/69b92e4a-e867-4745-8fbf-637d789a2217/dc8eeb44-a98c-4ccd-ad1e-b9a800784143_5ce109f2-a487-4c11-a0db-ad953b18dbad?searchText=tea%20tree%20oil
Egalement, RIFM (l’institut scientifique pour les fragrances) met à disposition ses évaluations de risque pour tous les ingrédients parfum, en ce inclus les huiles essentielles https://fragrancematerialsafetyresource.elsevier.com/
Cette base de données est mise à jour continuellement avec de nouvelles évaluations.
Vivien Lecomte
Bonjour et merci pour ces compléments utiles.
J’ai modifié l’encart de la partie 3.3 en conséquence.
Bien cordialement,
Steven
Si les huiles essentielles ont une puissance indéniable, il apparaît normal qu’il puissent avoir des effets sur l’environnement. Ceci dit, en lisant votre article, je m’interroge de savoir si le lobby de la chimie ne se cache pas derrière ces recherches.
La fabrique du doute ou… le fait de sensibiliser au risque que présente un produit à la fois sain et efficace permet de banaliser l’impact des produits de synthèse dont la fabrication est bien souvent aussi polluante que les résidus de produits synthèse qui se retrouvent dans l’environnement et dont les effets délétères sont avérés. Les substances que l’on retrouve dans les huiles essentielles proviennent au demeurant de la nature et si elle n’étaient pas extraites des plantes par distillation, elles se retrouveraient dans la nature là où la plante se décomposerait sans l’intervention humaine. Ce qui change, je le conçois, c’est le lieu (on n’a pas naturellement d’eucalyptus dans nos contrées) et la concentration.
A choisir, bien utilisées, les HE ont toute ma confiance (d’autant plus qu’elle sont bien souvent plus efficaces que les produits de synthèse si l’on considère par exemple le traitement en cas de virus. En effet une huile essentielle, de par son caractère liposoluble est aussi efficace contre les virus que contre les bactéries. Là où le produit de synthèse (généralement les antibiotiques dont la production est catastrophique et leur usage entraine l’antibiorésistance) à base d’eau n’est pas capable de passer la membrane de nos cellules et aller stoper le virus, l’huile essentielle l’est…
Vivien Lecomte
Merci pour votre commentaire.
Je rejoins globalement votre avis : les huiles essentielles et autres produits à bases de plantes, de par leur origine et leurs propriétés, présentent un risque beaucoup plus faible pour l’environnement aquatique que des substances chimiques de synthèse telles que les pesticides ou les résidus de médicaments (qui pour certains, passent au travers des mailles du traitement des stations d’épuration et se bioaccumulent dans les organismes).
Je n’encourage donc aucunement à bannir les huiles essentielles… mais simplement à les consommer de manière raisonnable, par exemple en ne les utilisant pas de manière superflue dans les produits ménagers !