Des médicaments dans nos eaux
PAR NATHALIE CHÈVRE
Le mois passé, une étude publiée dans la revue scientifique PNAS dressait l’état des lieux de la pollution des rivières par les médicaments à travers le monde.
Et le constat fait froid dans le dos.
Des médicaments ont été détectés dans la plupart des 258 rivières analysées, réparties dans 104 pays, eux-mêmes distribués sur tous les continents.
Certes, les concentrations les plus élevées ont été détectées dans des pays qui n’ont pas ou peu d’infrastructures de traitement des eaux usées. Mais chez nous aussi, les médicaments sont bien présents.
Dans la Senne, à Bruxelles, et dans l’Alzette, au Luxembourg, c’est un cumul de pas moins de 10 microgrammes par litres d’eau qui sont mesurés. La Senne et l’Alzette figurent ainsi dans les 20 % des rivières étudiées les plus polluées. Les concentrations mesurées dans la Seine à Paris sont 10 fois moins élevées, mais restent détectables.
Quelques repères :
-1 microgramme (µg) est 1 000 fois plus léger qu’1 milligramme (mg)
-1 petit grain de sable = 3 µg
-1 morceau de sucre dans un bassin olympique = 1 µg/L
Les systèmes de traitement des eaux usées actuels ne sont donc pas suffisants pour éliminer cette pollution, qui est importante pour les rivières qui subissent une forte pression anthropique, comme c’est le cas en Europe.
Les substances les plus couramment détectées sont la carbamazépine et la metformine. La première est un anti-épileptique prescrit également lors de douleurs liées au système nerveux. La deuxième est une molécule utilisée dans les cas de diabète de type 2, c’est-à-dire de diabète liés à l’obésité.
Dans le lac Léman, à la frontière entre la Suisse et la France, ces substances sont également bien présentes. Ainsi ce ne sont pas moins de 60 tonnes de metformine qui sont diluées dans les eaux du lac.
Une pollution qui pourrait favoriser le développement de résistances aux antibiotiques
Plus inquiétant, une substance couramment détectée est un antibiotique, le sulfaméthoxazole. C’est un antibiotique à large spectre, utilisé aussi bien pour les cystites que pour les sinusites.
Dans la Seine également, on retrouve des antibiotiques, comme la clarithromycine. On estime ainsi que jusqu’à 15 % de la quantité vendue sur son bassin versant se retrouve in fine dans le fleuve (au niveau de la ville de Poissy). Ce sont des quantités considérables!
Or la résistance aux antibiotiques « constitue aujourd’hui l’une des plus graves menaces pesant sur la santé mondiale, la sécurité alimentaire et le développement » comme l’a souligné l’OMS le 30 juillet 2020. Toujours selon l’OMS: « Un nombre croissant d’infections, comme la pneumonie, la tuberculose ou la gonorrhée, la salmonellose, deviennent plus difficiles à traiter, les antibiotiques utilisés pour les soigner perdant leur efficacité ».
Est-ce que les antibiotiques présents dans les eaux peuvent contribuer au développement des résistances ? A l’heure actuelle, personne ne peut répondre à cette question.
Mais on peut bien imaginer que si des bactéries de l’environnement sont exposées constamment à des antibiotiques, certaines vont développer des stratégies pour s’y adapter, ou vont muter. Et on sait que les bactéries échangent très facilement et très rapidement entre elles des informations de ce type.
Cette pollution mondiale des milieux aquatiques par des médicaments a donc de quoi inquiéter. D’autant que ces eaux sont aussi utilisées pour l’irrigation, les loisirs ou comme source d’eau de boisson.
Et pour noircir un peu plus encore le tableau, l’étude présentée ici n’a recherché que 61 médicaments, alors qu’il en existe plus de 3000. Elle n’a donc mis en évidence que la pointe de l’iceberg.
Plusieurs solutions expérimentées
Il est donc urgent d’agir pour réduire cette pollution. Mais comment?
Certains pays, comme la Suisse et l’Allemagne, ont commencé à équiper les stations d’épuration de systèmes de traitement sophistiqués qui permettent d’éliminer une grande partie des substances chimiques. Ces systèmes sont principalement basés sur un captage des substances par du charbon actif, ou une destruction par de l’ozone. Avec un coût supplémentaire pour l’épuration et donc pour le citoyen.
Cela reste cependant une solution en bout de chaîne.
Pour réfléchir à des actions à la source de la pollution, il existe une nouvelle initiative, appelée « One Health » ou Une seule santé, qui vise à considérer la santé environnementale, animale et humaine comme un tout. Cette approche commence à intéresser les médecins, notamment en lien avec les changements climatiques. Mais également en lien avec la pollution, ou la durabilité au sens large.
Il existe ainsi un projet en Suède pour identifier les médicaments avec un label environnemental, ce qui permet aux médecins de prescrire les médicaments les moins polluants, à effet thérapeutique égal.
Dans mon groupe, nous avons depuis récemment un projet de collaboration avec Unisanté à Lausanne, en Suisse, qui vise à réfléchir sur des « prescriptions médicales durables« . L’idée est que certains médicaments sont sur-prescrits, et qu’une réduction des quantités données pourrait être bénéfique pour l’environnement, mais également pour la santé des personnes.
Nous en sommes donc au début de la réflexion. Mais ce qui est sûr c’est qu’une collaboration étroite du monde médical et du monde des sciences de l’environnement devient urgente.
Références :
-Decker, A-. S., Allonier, Evaluation de la contamination en substances médicamenteuses dans les eaux du bassin Seine-Normandie, 100ème congrès ASTEE, 2021
-Wennmalm et Gunarsson. 2009. Pharmaceutical management through environmental product labeling in Sweden. Environment International 35(5):775-7. 10.1016/j.envint.2008.12.008.
-Wilkinson et al. 2022. Pharmaceutical pollution of the world’s rivers. PNAS. 119 (8) e2113947119.
–Medicamentsdansleau.org : vidéos dessinées de sensibilisation à destination des professionnels de santé et du grand public
Article posté le 21 mars 2022 par Nathalie Chèvre, maître d’enseignement et de recherche à l’Université de Lausanne, Suisse.
7 commentaires
Besse
Bonjour, merci pour cet article tres interressant, le Pr Raoult dans une de ses vidéo précise qu’il n’y a pas d’antibioresistance actuelement?
Nathalie Chèvre
Bonjour,
Je n’ai pas vu la vidéo en question. Je ne peux pas discuter le sujet de l’antibiorésistance car cela sort du cadre de mon travail. Dans l’article de blog, je me suis basée sur les publications de l’OMS. Et personnellement, j’ai déjà eu une infection résistante à l’antibiotique que l’on m’avait prescrit. J’ai donc dû en changer. Il me semble donc que c’est une problématique qui est bien réelle.
Yann Tessier (toxicologue)
Merci pour cet article sur un aspect négligé du développement du médicament. L’antibiorésistance est un sujet d’inquiétude majeure. Un article il y a quelques années (dans Science je crois) prédisait que d’ici quelques décennies, alors que la cancer sera responsable de 10 millions de décès par an dans le monde, les infections bactériennes résistantes aux antibiotiques, elles, causeraient 30 millions de mort.
Steve Pillonel
Réfléchir à des prescriptions médicales plus durables est un excellent premier pas et je vous en félicite.
Je m’interroge de savoir ce qu’il en est (quantité et effet) des substances en vente libre. Il ne m’a pas semblé lire d’élément sur ce type de substance. Serait-ce prévu pour un prochain article ou les données n’ont-elles pas encore été analysées?
Nathalie Chèvre
Bonjour, les médicaments que l’on détecte dans les eaux sont aussi bien des médicaments sur prescription médicale que des médicaments en vente libre. Ainsi on détecte communément le diclofenac ou encore le paracétamol. Je pense que les pharmaciens auraient un rôle important à jouer pour sensibiliser la population à cette pollution. Pour éviter d’abord que des médicaments non consommés soient rejetés dans les éviers ou les toilettes, mais aussi pour réduire la consommation des médicaments en vente libre.
Idrissa Soumaoro
un article très intéressant. je me demande quel serait les conséquences sur la santé dans un pays comme le mien qui ne dispose pas de systèmes de traitement adéquat des eaux usées.
Nathalie Chèvre
Vous ne mentionnez pas le pays en question. Mais dans l’étude parue dans PNAS, il y a plusieurs exemples de rivières dans des pays qui n’ont pas de systèmes de traitement des eaux.