Le changement climatique aggrave l’érosion de la biodiversité
La biodiversité est en danger. Selon l’UICN (Union Internationale pour la Conservation de la Nature) – équivalent du GIEC pour la biodiversité, le taux d’extinction des espèces est aujourd’hui 100 à 1000 fois plus élevé qu’au cours des temps géologiques passés, en raison de l’impact des activités humaines.
Les principales raisons de cette érosion de la biodiversité, que certains scientifiques qualifient de sixième extinction massive, sont bien connues : en premier lieu la destruction et la dégradation des milieux naturels mais aussi la surexploitation des espèces, l’introduction d’espèces envahissantes, les pollutions… et le changement climatique.
PRÈS DE LA MOITIÉ DES ESPÈCES POURRAIENT DISPARAÎTRE
En effet, bien que n’étant pas le premier facteur de l’érosion de la biodiversité, le réchauffement climatique actuel exerce une pression supplémentaire sur les espèces animales et végétales, en modifiant leur milieu de vie… et sans leur laisser le temps nécessaire pour s’adapter. Et pour cause : la vitesse du réchauffement actuel est bien plus élevée que les variations climatiques naturelles et pourrait dépasser les 2°C par siècle, un seuil critique pour de nombreuses espèces (MOOC Avenir climatique, 2017a).
Ainsi, dans l’hypothèse d’un réchauffement de 2°C, près de 25 % des espèces peuplant les espaces naturels les plus riches en biodiversité courent le risque d’une extinction au niveau local. Les projections montrent que les plantes seront très violemment touchées, car elles sont souvent dans l’incapacité de s’adapter avec suffisamment de rapidité à un climat qui se modifie – ce qui par voie de conséquence peut avoir un effet de réaction en chaîne sur d’autres espèces qui dépendent d’elles (WWF, 2018).
Si le réchauffement est plus important, de l’ordre de 4,5°C, c’est près de la moitié des espèces présentes sur la Terre qui pourraient disparaître, d’après l’IPBES (Plateforme Intergouvernementale sur la Biodiversité et les Services Ecosystémiques) (Novethic.fr, 2018b).
La biodiversité : à quoi ça sert ?
Nous dépendons fortement de tous les écosystèmes et de la biodiversité qu’ils contiennent. En effet, la biodiversité :
–fournit des biens au quotidien, nécessaires à nos besoins de base : oxygène, nourriture, médicaments, matières premières (ex : coton) ;
–rend des services irremplaçables : la pollinisation des espèces végétales, la fertilisation des sols, l’épuration de l’eau (notamment par les micro-organismes) ou encore la prévention des inondations.
La suite de cet article présente quelques illustrations des phénomènes engendrés par le changement climatique, pouvant aboutir à cette érosion massive de la biodiversité.
I. LE CHANGEMENT CLIMATIQUE PROVOQUE UN DÉPLACEMENT DES ESPÈCES
Du fait de l’augmentation globale de la température, l’aire de répartition des espèces se modifie.
Dans les cours d’eau français, les poissons d’eau froide voient leur territoire diminuer et se déplacer vers l’amont. Les espèces rencontrées à l’aval, où l’eau est plus chaude, remontent également, gagnant de nouveaux territoires. Ces déplacements ont tendance à homogénéiser les communautés de poissons sur tout le linéaire du cours d’eau (Agence de l’Eau RMC, 2017) et donc à diminuer la biodiversité globale.
Dans les lacs européens* , les scientifiques ont observé une tendance au développement des espèces supportant de larges variations de température comme la brème commune ou le sandre. A l’inverse, l’omble chevalier, une espèce affectionnant les eaux froides, a vu son abondance diminuer dans de nombreux lacs (Agence de l’Eau RMC, 2017).
Sur la terre et dans les airs, les espèces animales et végétales se déplacent aussi… et notamment certains parasites et nuisibles qui progressent vers des altitudes et des latitudes jusque-là épargnées. La chenille processionnaire du pin a par exemple avancé de 4 km/an vers le nord durant les 10 dernières années. Le moustique tigre remonte lui aussi inexorablement vers le nord de la France (Ministère Environnement, 2017), emportant avec lui les virus de la dengue et du chikungunya, deux maladies qui ne seront plus uniquement tropicales à l’avenir (ANSES, 2020).
*Dans les lacs européens, le réchauffement des eaux est de 0,15 à 0,3 °C par décennie
II. LE CHANGEMENT CLIMATIQUE MODIFIE LES CYCLES DE VIE
Le changement climatique entraîne également des modifications dans le cycle de vie des organismes. Par exemple, en raison des printemps de plus en plus chauds, on constate une avancée dans l’apparition des bourgeons et dans la floraison des arbres, de l’ordre de 1,4 à 3,1 jours par décennie.
Certaines espèces s’adaptent en avançant les phases de leur cycles de vie… et d’autres non. C’est le cas par exemple du Gobemouche noir, un oiseau migrateur dont la date de retour de migration* se retrouve peu à peu en décalage avec le pic d’abondance des chenilles, qui constituent sa nourriture (planet-vie.ens.fr, 2007).
* La date de migration du Gobemouche est contrainte par de nombreux paramètres indépendants de la température.
III. LE CHANGEMENT CLIMATIQUE REND LES OCÉANS PLUS HOSTILES
Plus acides…
Les océans, en absorbant environ un quart des émissions de gaz à effet de serre produits par les activités humaines depuis les années 1980, ont permis de contenir l’ampleur du réchauffement climatique (GIEC, 2007b).
Malheureusement, le prix écologique de cette absorption est lourd, dans la mesure où le CO2 absorbé réagit avec l’eau de mer et entraîne une acidification des océans*. D’après les scientifiques, le pH des océans aurait ainsi diminué d’environ 0,1 unité depuis la fin du XIXème siècle, passant de 8,2 à 8,1.
Pas énorme ? Si, car, rappelez-vous vos cours de chimie de collège : l’échelle du pH est logarithmique. Par exemple, un pH 5 est 10 fois plus acide qu’un pH 6. Par conséquent, cette « petite » baisse de 0,1 unité de pH représente déjà une hausse de 26 % de l’acidité des océans… et si les émissions de CO2 continuent au même rythme, le pH pourrait diminuer de 0,4 unités supplémentaires (pH 7,7), créant des océans plus « acides » que jamais** (OMM, 2019).
Cette acidification représente un risque majeur pour les coraux, dont le squelette devient plus fragile, et pour certains types de zooplancton, dont la coquille devient également moins solide. Elle modifie également la propagation et l’absorption des sons dans l’eau, affectant le système auditif des poissons et des mammifères marins.
L’acidification menace ainsi l’équilibre de nombreux écosystèmes (Lemonde.fr, 2015b).
*Voici les équations pour ceux que ça intéresse : CO2 + H2O <-> H2CO3 ; H2CO3 <-> HCO3- + H+ (c’est l’augmentation de la concentration en protons H+ qui diminue le pH de l’eau.
**Bien qu’on parle d’acidification, un pH de 7,7 est considéré comme alcalin, car supérieur à 7
Plus chauds…
Les océans sont également plus chauds que par le passé, car ils ont absorbé plus de 90 % de la chaleur excédentaire du système climatique. Et ce n’est pas fini… D’ici 2100, selon un scénario (optimiste) de réchauffement de + 2°C, ils absorberont 2 à 4 fois plus de chaleur que durant la période 1970-2020 (et jusqu’à 7 fois plus si le réchauffement est plus élevé) (GIEC, 2019b).
Cette hausse de la température affecte là encore les coraux (et les innombrables organismes vivants qui en dépendent), dont les populations devraient, selon le GIEC, diminuer de plus de 99 % dans un monde à +2°C.
La Méditerranée devrait voir également sa température de surface s’élever de 0,7 à 2,6 °C d’ici la fin du siècle. Sa teneur en sel devrait aussi augmenter, favorisant la disparition de certaines d’espèces, parfois remplacées par d’autres… mais parfois non (Agence de l’Eau RMC, 2017).
Lire aussi | Vers des eaux plus polluées et des polluants plus toxiques
Et moins oxygénés
Enfin, comme expliqué dans un autre article, la hausse de la température entraîne une diminution de la concentration en oxygène dans l’eau : celle-ci a déjà baissé de 2 % en 60 ans. Le réchauffement réduit aussi le brassage entre les différentes couches d’eau, et en conséquence, l’approvisionnement en oxygène et en nutriments nécessaires à la faune et à la flore marine (GIEC, 2019b).
Ces phénomènes vident des régions océaniques entières de certains de leurs habitants, transformant durablement les chaines alimentaires marines (Novethic.fr, 2019c).
Article rédigé par Vivien Lecomte, 1 juin 2020, Ecotoxicologie.fr : tous droits réservés
EN SAVOIR PLUS…
–Nos choix d’aujourd’hui sont décisifs pour l’avenir des océans et de la cryosphère – Groupement d’Experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat (GIEC) – 2019
–La nature face au choc climatique – L’impact du changement climatique sur la biodiversité au cœur des Écorégions Prioritaires du WWF – 2018
–Impacts du changement climatique dans le domaine de l’eau sur les bassins Rhône-Méditerranée et Corse – Agence de l’Eau RMC – 2017
–The global assessment report on biodiversity and ecosystem services – Résumé en français de Citoyens pour le Climat – 2019
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