Grenouille

Entre écotoxicologie et éthique

PAR NATHALIE CHÈVRE

Grenouille

En écotoxicologie, nous testons la toxicité des substances chimiques sur des espèces vivantes. Des plantes, des algues, des microcrustacés, des poissons ou des grenouilles.

Et cela ne nous fait pas plaisir.

En effet, lorsque l’on travaille avec l’idée de protéger l’environnement, il est peu confortable de penser que l’on fait « souffrir » des animaux ou des végétaux.

La règle des 3R

Il existe bien sûr une législation assez stricte. En Suisse, la Loi sur la Protection des Animaux. En France, dès 2015, le Code civil considère que les animaux sont des êtres sensibles, et qu’ils doivent donc être protégés comme tels.

Cela implique, comme chercheur ou chercheuse, que nous devons suivre des règles « éthiques » pour ce que l’on doit bien appeler des « expérimentations animales ».

En particulier, nous devons suivre la règle des 3R : remplacer, réduire et réformer :

  • Remplacer les tests sur les animaux par des tests sur des cellules ou par des modèles
  • Réduire le nombre d’animaux testés
  • Réformer les tests, c’est-à-dire optimiser les méthodologies employées pour diminuer la douleur animale tout en garantissant un niveau de résultats scientifiques élevé

Une méthode prometteuse pour éviter l’euthanasie des grenouilles

Dans cette optique, nous avons récemment testé une méthode non invasive pour évaluer les effets de stress chimiques sur les grenouilles. Avec un certain succès.

Une manière de déterminer les effets toxiques des polluants passe par la recherche de biomarqueurs de stress dans l’organisme. Par exemple, on peut mesurer le niveau de l’enzyme acétylcholinésterase comme indicateur d’exposition à une substance neurotoxique. Les pesticides organophosphorés comme le chlopyriphos ou le diazinon, font partie de ces substances toxiques pour le système nerveux. En bref, ils inhibent l’acétylcholinestérase, ce qui engendre une sur-stimulation du système nerveux. D’où les gestes désordonnés des personnes intoxiquées par ces substances.

A titre d’information, la maladie de Parkinson chez l’agriculteur (due à l’exposition aux pesticides) a été reconnue comme maladie du travail en France depuis le milieu des années 2010.

Mais revenons à nos biomarqueurs. Les mesurer dans des animaux de laboratoire ou sur le terrain implique la plupart du temps d’euthanasier ces derniers. En effet, les biomarqueurs sont recherchés le plus souvent dans le foie, mais aussi dans le cerveau ou encore les reins.

Or, euthanasier des animaux est contraire à la règle des 3R. C’est particulièrement problématique lorsqu’il s’agit d’espèces en danger comme la plupart des amphibiens.

Dans son travail de master, Loïc Cattin a donc cherché dans quelle mesure ces mêmes biomarqueurs pourraient être détectés avec des prélèvements non invasifs sur des grenouilles. Se basant sur des études menées sur les lézards, il y a ainsi identifié la salive comme candidat potentiel. Avec des résultats intéressants.

Il a ainsi pu détecter facilement deux biomarqueurs qui entrent en jeu dans le processus que l’organisme met en place pour se détoxifier (la GST et l’EROD), mais pas l’acétylcholinésterase dont nous avons parlé plus haut. Nous supposons que cette enzyme, propre au système nerveux, n’est pas présente dans la salive.

A noter qu’il n’a en revanche pas trouvé de corrélation entre l’activité des biomarqueurs mesurés dans le foie et dans la salive. Ceci impliquant de développer un référentiel pour la salive seule.

Ce sont des résultats prometteurs. Et d’autres études devraient être menées dans ce sens. Reste qu’il n’est pas simple de prélever de la salive chez des animaux aussi petits que des grenouilles. Le risque de les blesser est grand. Et le stress de la capture sur le terrain reste.

Cependant, de telles études vont dans le sens de réduire la souffrance animale et contribuent à diminuer la mauvaise conscience que peuvent avoir certains écotoxicologues dont je fais partie.

Nathalie Chèvre, écotoxicologue

Article posté le 2 mars 2023 par Nathalie Chèvre, maître d’enseignement et de recherche à l’Université de Lausanne, Suisse.

Référence :
Cattin L, Boualit L, Guillet B, Chèvre N. 2022. Développement de méthodes peu invasives pour la mesure de biomarqueurs sur les amphibiens. Bulletin de la Société Vaudoise des Sciences Naturelles 101 : 17-30. https://wp.unil.ch/svsn/publications/bulletins/

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