Changement climatique : ça chauffe pour les poissons !
PAR JIMMY DEVERGNE, EMILIE REALIS ET MARIEM ZAIDI
Depuis la fin du 19ème siècle et la révolution industrielle, les activités humaines affectent notoirement les écosystèmes. Ces modifications pourraient mener à un pourcentage d’extinction locale plus élevé dans les habitats d’eau douce (74%), que dans les habitats terrestres (46%) ou les habitats marins (51%). Une des modifications principales est liée au changement climatique avec une hausse de la température. Les eaux de surface (rivières, lacs, océans, etc.) absorbent près de 93% du réchauffement atmosphérique et sont donc particulièrement impactées par les variations de température. La très grande majorité (99 %) des poissons ne régulent pas leur température par eux-mêmes, et sont donc très sensibles à ces variations, tout au long de leur cycle de vie (Crozier et al., 2019).
La reproduction est influencée par la température
La reproduction est un phénomène clé de l’évolution et de la survie des espèces, qui demande beaucoup d’énergie aux organismes. De même, la détermination du sexe est un mécanisme complexe qui implique un dialogue entre le cerveau et les organes reproducteurs, mobilisant de nombreux acteurs génétiques et hormonaux. En effet, alors que certains poissons naissent avec un sexe défini toute leur vie, d’autres changent au cours du temps. Un exemple emblématique est le poisson clown (Amphiprioninae) qui naît mâle et qui avec le temps peut devenir femelle (Larson, 2011 et Casas et al., 2016).
L’environnement de vie du poisson est un élément essentiel à la mise en place de la puberté et de la reproduction. Ainsi des altérations rapides des paramètres environnementaux, tels que la température, peuvent interférer avec la production de spermatozoïdes, d’œufs, d’hormones, mais aussi influencer le moment de la ponte et donc la survie de la descendance.
Les ovaires et les testicules sont les premiers organes à montrer une sensibilité à des eaux plus chaudes. Des températures plus élevées conduisent à des développements plus précoces et peuvent affecter la détermination du sexe menant à une masculinisation ou à une féminisation. Par exemple, chez le Cardeau hirame (Paralichthys oliÍaceus), il a été mis en évidence qu’une température de 25 à 27°C favorise le développement des mâles. A l’inverse, en-dessous de 20°C, le développement des mâles est inhibé (Yamamoto, 1999).
La température peut aussi influencer les enzymes responsables de la production d’hormones masculines (testostérones) et féminines (oestrogènes). L’aromatase, l’une des enzymes les plus étudiées, est responsable de la transformation de la testostérone en oestrogènes. Cette enzyme est perturbée sous l’effet d’un réchauffement, favorisant alors le masculinisation du poisson (Guigen et al., 2010). Une augmentation de la température est par ailleurs souvent associée à un décalage de la période de ponte, corrélé à une diminution de la fécondité, de la fertilité, de la nage des spermatozoïdes et de la qualité des œufs. Ce phénomène peut aussi conduire à une réduction de la fenêtre de fertilité mâle-femelle rendant difficile la rencontre des gamètes.
Les œufs et les larves sont particulièrement sensibles à la température
Comme les œufs et les larves sont peu mobiles ou immobiles, ces premiers stades de vie ont également une forte sensibilité aux variations de température (Uhro, 2002). Ces variations ont de nombreuses répercussions sur ces œufs et larves, telles que la diminution de leur survie et de leur immunité mais également une accélération de leur croissance et une augmentation des malformations (Réalis Doyelle et al., 2016). De plus, lors d’une augmentation de la température, les besoins vitaux des organismes sont augmentés, ce qui induit une consommation plus rapide de leurs réserves vitellines. Cette consommation accélérée de la réserve vitelline associée à un temps de développement plus rapide pourrait avoir pour conséquence l’atteinte du “point de non-retour”, où la larve meurt de faim.
La température peut aussi influencer le comportement des larves au sein du groupe. Son élévation pourrait conduire à une plus grande variabilité des tailles au sein des populations, conduisant à de nouvelles hiérarchies et favorisant le cannibalisme des petites larves par les plus grosses. De plus, les plus grandes larves auront plus de capacité de migration qu’elles mettront à profit pour acquérir et défendre un territoire.
Vers une modification de l’aire de répartition des espèces ?
Il est donc évident que le réchauffement climatique va impacter à très court terme la survie et le développement des poissons notamment pour les premiers stades de vie qui sont les plus sensibles aux variations de températures. Ceci aura des conséquences au niveau des populations piscicoles et plus généralement des impacts sur l’ensemble des aires de répartition des espèces de poissons. Cependant, il est possible que les poissons puissent s’adapter, même si la vitesse des modifications thermiques pose la question de leurs capacités d’adaptation dans un laps de temps si court (capacité probablement très différente en fonction des espèces). De plus, d’autres facteurs comme la prédation et la migration de nouvelles espèces, mais aussi le courant, la teneur en oxygène dissous, la quantité de matières en suspension et la pollution peuvent également impacter fortement les populations piscicoles.
Polluants et changement climatique : un cocktail dangereux
La température est un paramètre physique qui influe sur la perception et les interactions des organismes avec leur environnement. Son augmentation amène à une diffusion plus importante des polluants (Manciocco et al., 2014). En outre, la hausse de la température agit comme un facteur érodant la capacité de résilience des organismes face aux polluants, engendrant ainsi des effets plus variés. Elle peut également engendrer une dégradation accélérée des pesticides ou bien des plastiques, ce qui va créer des molécules plus ou moins toxiques. En résumé, les poissons réagissent de manière très spécifique aux perturbations et changements de température, ce qui pose de nouvelles questions et challenges en écotoxicologie.
Article posté le 1er avril 2023 par Mariem ZAIDI (Docteure en écotoxicologie), Emilie REALIS (Chercheuse à INRAE) et Jimmy DEVERGNE (Doctorant à l’IFREMER)
Pour aller plus loin :
-Casas et al. Sex Change in Clownfish: Molecular Insights from Transcriptome Analysis (2016). https://doi.org/10.1038/srep35461Ab
-Manciocco et al. Global warming and environmental contaminants in aquatic organisms: The need of the etho-toxicology approach (2014). https://doi.org/10.1016/j.chemosphere.2013.12.072
-Réalis-Doyelle et al. Strong Effects of Temperature on the Early Life Stages of a Cold Stenothermal Fish Species, Brown Trout (Salmo trutta L.) (2016). https://doi.org/10.1371/journal.pone.0155487