Que sait-on de la contamination des étangs par les pesticides ?
PAR GASPARD CONSEIL
Lorsque l’on atterrit en Lorraine et plus précisément en Moselle, il est peu probable de passer à côté des multiples masses d’eau qui peuplent le paysage : les étangs. Ces derniers, pour une large part, furent creusés au Moyen Âge pour développer une activité de pisciculture locale et ont aujourd’hui gardé cette vocation piscicole, à laquelle s’ajoutent de nombreux enjeux environnementaux et socio-culturels.
Dans le cadre de travaux de recherche, ces étendues d’eaux stagnantes font l’objet de divers questionnements. Les chercheurs étudient notamment « l’objet géographique » qu’elles constituent, au travers de leur répartition territoriale, de leurs usages et fonctionnalités (aquaculture, tourisme, loisirs, paysage, etc.), et de leur gestion (Mathis, 2016).
Les scientifiques s’attachent également à évaluer les multiples services écosystémiques rendus par ces étangs, tels que leur contribution à la biodiversité ou à la production de poissons (Banas, 2001; Blayac et al., 2014 ; Zamora-Marín et al., 2021). Ils étudient également les impacts négatifs de ces milieux sur l’environnement (Banas et al., 2008), pour proposer des pratiques et aménagements susceptibles d’optimiser des services rendus et de minimiser les impacts, en concertation avec les pisciculteurs et les gestionnaires de l’eau.
Mais dans cet article, je vous propose d’évoquer une autre facette de l’étude de ces étangs, qui est l’objet de mon doctorat : la pollution invisible mais bien réelle par certains résidus de pesticides.
La contamination des étangs par les pesticides
Les étangs sont localisés en tête de bassin versant, c’est-à-dire dans les zones amont des rivières, et jouxtent ainsi des exploitations agricoles. De ce fait ils sont potentiellement impactés par les activités associées et notamment par l’utilisation de produits phytopharmaceutiques employés pour la protection des cultures (« pesticides »).
Au Pays des étangs en Lorraine, des chercheurs de l’UR AFPA et du LHN (Laboratoire d’Hydrologie de Nancy de l’ANSES) alliant connaissances locales, réflexions communes et technologies éprouvées, ont pu mettre en lumière la « multi contamination » de ces étendues d’eau (et des cours d’eau associés) par les pesticides (Gaillard et al., 2016).
Les pesticides n’étaient pas les seules cibles recherchées : leurs produits de transformations ont également été étudiés. En effet, comme les animaux, les « molécules mères » (par exemple un pesticide), peuvent donner naissance, de par des processus multiples et distincts, à des « molécules filles », appelées produits de transformation ou « métabolites ». Or, les études menées dans le cadre des projets REPONSE et CABARET ont montré que les produits de transformation des pesticides, jusqu’alors considérés comme des contaminants complémentaires, étaient en réalité très diversifiés, et présents à des concentrations supérieures à celles de leurs composés parents. Ces résultats révèlent que les pesticides se « transforment » dès leur application sur la parcelle agricole (Le Cor et al., 2021).
Quid du risque environnemental induit par ces produits de transformation ?
De ces travaux découlent de nombreuses interrogations, pouvant être mises sous forme de nouvelles questions de recherche et ayant donc vocation à apporter des connaissances inédites ou supplémentaires.
De ce fait, de nouveaux travaux sont en cours de démarrage avec pour objectif d’apporter certains éléments de réponse concernant le risque que peut représenter cette contamination aquatique avérée.
La notion de risque est bien compréhensible lorsque l’on a intégré qu’elle est issue du croisement entre deux éléments : le danger (niveau de toxicité) et l’exposition à ce danger. Ce petit schéma vous aidera à appréhender cette notion.
À l’heure actuelle, les informations concernant le danger que peuvent représenter les produits de transformation des pesticides sont rares. Si les travaux antérieurs (Slaby et al., 2022) ont permis de mesurer la concentration de ces molécules dans les différents compartiments aquatiques (eau, matière en suspension, sédiment) et ainsi de caractériser l’exposition, l’étape de caractérisation du danger reste manquante. Ainsi, tant que le danger lié à chacun de ces produits n’est pas connu, il parait impossible d’appréhender le risque écotoxique encouru par « l’écosystème étang » face à l’abondance et la multiplicité de ces contaminants.
L’utilisation d’un biotest en laboratoire pour caractériser le danger de ces produits
Dans le cadre de mon doctorat à l’URAFPA, sous la direction de D. Banas et S. Milla, et en qualité de première approche de risk assessment (évaluation des risques), il a été décidé d’utiliser un biotest sur un crustacé d’eau douce (le test normé OCDE 202). Ce test s’effectue sur la daphnie (Daphnia magna) et est couramment utilisé pour mettre en évidence une toxicité aiguë (toxicité à court terme) que pourrait présenter une substance chimique. Il est en effet relativement avantageux en matière de coût, de temps et de manutention.
Ce biotest permettra d’initier une approche de caractérisation du risque écotoxique et d’acquérir des valeurs concernant des produits de transformation issus de pesticides pour lesquels les données sont manquantes, incomplètes ou peu fiables.
Lire aussi | Les bioessais de laboratoire : évaluer la toxicité des polluants en conditions contrôlées
Les résultats de ces travaux pourront alimenter des bases de données utilisées dans le cadre de processus d’évaluation des risques (ex. : PPDB -Pesticide Properties DataBase- (Lewis et al., 2016)) et orienteront nos choix de molécules pour des expérimentations futures en laboratoire. Les données produites seront également comparées avec des valeurs de toxicité (CE50) prédites à partir de modèles mathématiques (QSAR), pour tenter d’estimer la pertinence de l’emploi de ces outils dans ce type d’étude (pour plus d’information sur ce sujet je conseille la lecture du livre Ecotoxicological QSARs de Roy.K, 2020).
La suite ? Le temps et les premiers résultats nous le diront, mais la route menant à la caractérisation du risque écotoxique lié aux résidus de pesticides présents au sein des étangs est encore longue…
Article posté le 12 juin 2022 par Gaspard Conseil, doctorant au sein de l’Unité de Recherche Animal et Fonctionnalités de Produits Animaux (URAFPA) de l’Université de Lorraine.
Notes :
–Un service écosystémique (ou service écologique) est un service rendu par la nature, qui permet de vivre et de faire fonctionner notre société. Par exemple, la pollinisation des fleurs par les insectes permet de produire les fruits et légumes que nous consommons.
–Pays des étangs : nom donné à une partie de la Lorraine, parsemée d’étangs artificiels, aménagés initialement pour la pisciculture, englobée dans le Parc Naturel Régional de Lorraine (Encyclopédie Larousse).
–Le projet REPOnsE (Rôle des Étangs sur le devenir des Pesticides d’OrigiNeS agricoles et sur la qualité des cours d’Eau) : financement Agence de l’Eau RM/ANSES/UL, coordonné par Damien BANAS (Professeur à l’URAFPA).
–Le projet CABARET (ContAmination des matrices Biotiques et Abiotiques par les Résidus phytopharmaceutiques en Etangs) : financements OFB/UL, coordonné par Damien BANAS (Professeur à l’URAFPA)
–Le risque écotoxique correspond au croisement entre la présence d’une molécule dans l’environnement et le danger qu’elle représente, notamment en matière de toxicité envers les organismes vivants et de perturbation pour l’écosystème auquel ils sont associés.
–OCDE (2004), Essai n° 202 : Daphnia sp., essai d’immobilisation immédiate, Lignes directrices de l’OCDE pour les essais de produits chimiques, Section 2, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/9789264069954-fr
2 commentaires
AHR Jacky
Quelle est la distance que doit respecter l’agriculteur entre notre étang et son champ de maïs ?
Merci
CONSEIL Gaspard
Bonjour,
En France, l’arrêté du 4 mai 2017, modifié à plusieurs reprises, fixe les règles relatives aux zones de non-traitement (ZNT) entre les zones agricoles et les milieux aquatiques. Il impose une distance minimale de 5 mètres pour l’application de la majorité des produits phytosanitaires à proximité des étangs et cours d’eau, distance pouvant être portée à 20 ou 50 mètres pour les substances actives préoccupantes. L’usage de dispositifs techniques, comme les buses anti-dérive, permet parfois de réduire ces distances. Les préfets peuvent également ajuster ces règles via des arrêtés spécifiques, en concertation avec les acteurs locaux.
Par ailleurs, dans le cadre de la PAC, les bandes enherbées font partie des Bonnes Conditions Agro-Environnementales (BCAE), qui visent à protéger l’environnement en agriculture. Elles sont obligatoires le long des cours d’eau pour limiter la pollution, notamment par les produits phytosanitaires. Le CORPEN recommande ces bandes tampons, car elles réduisent le transport des pesticides en limitant le ruissellement. Leur efficacité dépend des conditions locales, comme le type de sol et les pratiques agricoles. Ces dispositifs aident les agriculteurs à respecter les règles environnementales tout en protégeant l’eau et les écosystèmes.
J’espère avoir répondu à votre question !