Méthode

Méthode d’évaluation du risque environnemental lié à un polluant

Pour mieux comprendre comment cette évaluation est réalisée, il faut tout d’abord préciser la notion de risque environnemental. Ce dernier dépend de deux paramètres : la dangerosité de la substance (sa toxicité) et l’exposition des organismes vivants à cette substance. En clair, une substance très toxique mais auxquels les organismes sont très peu exposés dans leur milieu de vie (par exemple car elle est produite en petite quantité) présente un risque environnemental faible. A l’inverse, une substance modérément toxique mais que l’on retrouve dans les cours d’eau à des fortes concentrations présente un risque environnemental fort.

RISQUE ENVIRONNEMENTAL = TOXICITÉ DE LA SUBSTANCE x EXPOSITION

Les directives européennes 93/67/EC, 793/93/EC et 1488/94/EC définissent la méthode d’évaluation de ce risque environnemental. Cette méthode consiste pour chaque substance chimique de synthèse (ex. : pesticide, médicament, détergent, etc.), à définir :

  • une PNEC (Predicted No Effect Concentration) : c’est la plus forte concentration de la substance sans risque pour l’environnement. Elle définit donc la toxicité de la substance vis à vis de l’environnement.
  • une PEC (Prédicted Environmental Concentration) : c’est la concentration prévisible de la substance dans l’environnement. Elle définit donc l’exposition des milieux naturels à cette substance.

I. Comment définir « une concentration sans risque pour l’environnement » (PNEC) ?

Cette concentration sans risque est évaluée à partir des résultats de bioessais de laboratoire appliqués sur cette substance.

Pour déterminer la PNEC (concentration sans risque pour l’environnement) à partir de résultats de bioessais, on doit appliquer les règles suivantes:

  • on utilise en priorité les résultats des essais de toxicité chronique : ces tests évaluent les effets à moyen ou long terme de la substance sur les organismes vivants. On s’intéresse ici à la CSEO (ou NOEC en anglais), la plus forte concentration testée à laquelle aucun effet sur l’organisme vivant n’a été observé. Par défaut de valeurs de toxicité chronique, on utilise la valeur de CL50 (Concentration tuant 50 % des individus testés).
  • on utilise la CSEO la plus faible (ou par défaut la CL50 la plus faible) : la sensibilité de l’écosystème dépend des espèces les plus sensibles aux polluants. Or, la CSEO (ou la CL50) la plus faible correspond à l’organisme le plus sensible.
  • on applique un facteur de sécurité à la CSEO ou à la CL50 retenue : ce facteur, défini dans les directives européennes précédemment cités, permet d’abaisser le risque. Il tient compte du nombre et de la qualité des données disponibles.

Pour mieux comprendre, nous allons détailler la méthode de détermination d’une PNEC pour un exemple de substance. Des bioessais de laboratoire ont été effectués sur cette substance sur différents organismes. Les résultats de ces tests sont présentés dans le tableau ci dessous:

Résultats de tests de laboratoire pour détermination d'une PNEC: seuls des résultats de toxicité aiguë sont disponibles
Résultats de bioessais de laboratoire pour la détermination d’une PNEC : seuls des résultats de toxicité aiguë sont disponibles

Dans l’exemple ci-dessus, on dispose uniquement de données portant sur des essais de toxicité aigüe. On sélectionne donc la valeur de CL50 la plus faible (correspondant à l’organisme le plus sensible à la substance testée) puis on lui applique un facteur de sécurité de 1000 :

PNEC = 0,22 mg/L / 1000 = 0,00022 mg/L = 0,22 µg/L

Ce résultat signifie donc, qu’en théorie, une concentration de 0,22 µg/L de la substance n’est pas néfaste pour l’environnement.

Nous allons maintenant étudier le cas où on dispose de données relatives à la toxicité chronique de cette même substance :

Résultats de tests de laboratoire pour détermination d'une PNEC: des résultats de toxicité chroniques sont disponibles
Résultats de bioessais de laboratoire pour la détermination d’une PNEC : des résultats de toxicité chronique sont disponibles

Dans cet exemple, on sélectionne la valeur de CSEO (NOEC en anglais) la plus faible puis on lui applique un facteur de sécurité de 10. Ce facteur est beaucoup plus faible que le précédent car on dispose de données de toxicité de long terme sur 4 groupes d’organismes différents (plusieurs maillons de la chaîne alimentaire) :

PNEC = 0,08 mg/L / 10 = 0,008 mg/L = 8 µg/L

On se rend donc compte que des données plus complètes modifient la valeur de PNEC.

Même si cette valeur de PNEC permet de se donner une idée de la toxicité d’une substance vis à vis des écosystèmes, deux critiques peuvent être émises :

  • la valeur du facteur de sécurité est très arbitraire : ce facteur est d’ailleurs très différent selon les législations (différences notamment entre la législation européenne et la législation américaine) ;
  • cette PNEC est définie « substance par substance » : or, dans les milieux naturels, ce sont des mélanges de molécules qui sont présentes et celles-ci pouvant interagir entre elles (effets additifs, synergiques ou antagonistes).

II. Comment prédire « la concentration de la substance dans l’environnement » (PEC) ?

Cette PEC permet de prévoir la concentration de la substance dans les différents compartiments de l’environnement: air, eau, sédiment, sol. Elle est définie selon plusieurs paramètres :

  • son tonnage et son utilisation : une substance produite à plusieurs dizaines de milliers de tonnes par an (comme le bisphénol A), pourra, selon son utilisation, se retrouver en grande quantité dans l’environnement. Si cette substance est rejetée via les eaux usées, elle aura donc une PEC élevée dans l’eau ;
  • son comportement dans l’environnement : par exemple si elle est plus ou moins biodégradable ;
  • ses propriétés physico-chimiques : sa volatilité (dans l’air), sa solubilité (dans l’eau), son poids moléculaire.

III. Comment prédire le risque lié à une substance grâce aux valeurs de PEC et de PNEC ?

La comparaison des valeurs de PEC et de PNEC permet de tirer une conclusion quant au risque que représente une substance pour l’environnement. En effet, si la concentration prévisible de la substance (PEC) est supérieure à la concentration sans risque pour l’environnement, alors il y a un risque potentiel pour les écosystèmes.

Pour mieux comprendre, nous allons prendre deux exemples, en considérant que la concentration prévisible de la substance (PEC) est de 2 µg/L :

  • si la concentration sans effet (PNEC) est de 0,22 µg/L, alors PEC > PNEC et on considère qu’il y a un risque pour l’environnement. Il est alors nécessaire de prendre des mesures pour réduire l’exposition des écosystèmes telles que la limitation des usages de la substance ;
  • si la concentration sans effet (PNEC) est de 8 µg/L, alors PEC < PNEC et on considère que le risque est acceptable pour l’environnement.

IV. Qu’est-ce que la NQE (Norme de Qualité Environnementale) ?

La stratégie de lutte contre la pollution chimique des milieux aquatiques, définie dans le cadre de la Directive Européenne Cadre sur l’eau (DCE), se concentre sur une liste restreinte de substances considérées comme prioritaires.

Pour ces substances prioritaires, des critères de qualité appelés Normes de Qualité Environnementale (NQE) sont fixés : il s’agit de valeurs seuils que la concentration mesurée dans le milieu aquatique ne doit pas dépasser pour garantir la protection de l’environnement (comme pour les PNEC) et de la santé humaine (Piren-Seine, 2011).

La NQE a donc deux composantes :

  • une composante environnementale qui permet de protéger les organismes du milieu aquatique d’un effet toxique direct ou par empoisonnement secondaire (ingestion de nourriture contaminée) ;
  • une composante sanitaire qui permet de protéger la santé humaine de la toxicité des substances sur l’eau brute destinée à la consommation humaine ou d’un empoisonnement secondaire par consommation d’organismes éventuellement contaminés.

Ainsi, pour chaque substance substance prioritaire, des NQE-MA (moyenne annuelle) et NQE-CMA (maximum admissible) sont définies. Leur définition s’appuie sur l’estimation des PNEC décrites ci-avant, en l’appliquant au milieu aquatique : elle correspond à la valeur minimale des différentes valeurs de PNEC observées pour chacun des compartiments étudiés (eau, sédiments, biote et santé humaine).

Au delà des NQE officiellement votées par le Parlement Européen pour les substances prioritaires, des NQE provisoires sont aussi disponibles pour un grand nombre de substances qui ont fait l’objet d’évaluations écotoxicologiques approfondies par les états membres.


Article rédigé par Vivien Lecomte, 3 janvier 2012 – Ecotoxicologie.fr : tous droits réservés

BASES DE DONNÉES DE PNEC
NORMAN Ecotoxicology Database : PNEC Eau, PNEC Sédiment, PNEC Poisson et PNEC Invertébré de près de 100 000 substances
Le Portail Substances de l’Ineris

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6 commentaires

  • Litto

    Bonjour,
    D’abord merci pour ces éléments intéressants. Je cherche actuellement des données de PNEC pour comparaison à des valeurs obtenues en cours d’eau.
    En comparant les valeurs de PNEC de la base de données Norman et celles de l’INERIS, je trouve des écarts me paraissant significatifs. Est-ce normal ? Quelle référence utiliser ?
    Exemple, l’AMPA (CAS_RN: 1066-51-9) :
    > selon Norman : Lowest PNEC freshwater : 1500 µg/L.
    > selon Ineris (https://substances.ineris.fr/fr/substance/2279) : PNEC chronique eau douce : 0.08 mg/l, soit 80 µg/L.

    Merci pour votre retour et félicitations pour le contenu pédagogique de votre site.

    • Vivien Lecomte

      Bonjour et merci pour votre message,
      Votre question est pertinente et la réponse n’est pas évidente!
      Il peut en effet exister des différentes importantes entre les valeurs de PNEC d’une même substance, celles-ci pouvant être obtenues avec des méthodologies variées, plus ou moins « robustes ». On peut notamment pointer le fait que certaines PNEC sont obtenues via des données expérimentales alors que d’autres sont issues de modèles (QSAR).
      Dans le cas de NORMAN, il est écrit sur la page de téléchargement des données que les valeurs de PNEC ont vocation à être utilisées « à titre préliminaire à des fins de priorisation », par exemple pour définir une liste de substances d’intérêt à rechercher dans une rivière ou bien pour comparer la limite de détection d’une méthode d’analyse avec la valeur de PNEC en question (il s’agit en effet de s’assurer que la méthode d’analyse est suffisamment sensible pour quantifier une substance à des niveaux de concentration pouvant entraîner un effet sur le milieu). Toujours selon la page du site « Si les concentrations environnementales mesurées (MEC) dépassent une PNEC la plus basse qui n’est pas robuste, un examen est nécessaire pour déterminer s’il existe un problème réglementaire ».
      Concernant l’INERIS, je sais que les informations saisies sur le portail Substances ne sont malheureusement pas toujours à jour, et qu’une refonte du site est prévue prochainement…
      Donc dans le doute, puisque l’objectif est de protéger le milieu, il vaut mieux toujours utiliser la valeur de PNEC la plus basse (il faut toujours prendre « le pire cas possible » pour le milieu) en indiquant la source de la valeur que vous avez utilisée.

      Mais dans le cas spécifique de l’AMPA, je vous conseille plutôt d’utiliser la valeur de NQE (452 µg/L), qui a davantage une portée réglementaire, et que vous trouverez également sur le site de l’INERIS (malheureusement beaucoup de substances ne disposent pas de NQE !).

      Espérant vous avoir aidé,
      Bien cordialement,
      Vivien

  • Justina

    Bonjour,
    Je suis à la recherche d’une formation ( en ligne); un master ou autre pour l’évaluation du risque environnemental? En particulier le risque environnemental lié aux produits de santé?
    Avez-vous des recommandations. conseils?
    Dans l’attente de votre réponse.

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