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L’attaque contre la science aux USA va nous impacter tous

PAR NATHALIE CHÈVRE
(N’hésitez pas à commenter l’article et à poser vos questions en bas de page 🙂 )

L’attaque de l’administration Trump contre la science aux États-Unis a été largement commentée dans les médias. En réaction, s’est créé le mouvement « Stand up for science » qui a défilé aux USA et en France le 7 mars 2025. En Suisse, cela a été beaucoup plus timide, voir inexistant.

Mais cette attaque peut paraître abstraite si l’on n’est pas soi-même chercheuse ou chercheur.

Et il y a déjà assez d’autres thématiques en lien avec ce changement de président (ou peut-être de régime politique ?) qui sont inquiétantes : la guerre en Ukraine, les taxes douanières, la fin du financement de USaid (aide au développement américaine), etc.

La science ? cela semble bien anecdotique tout compte fait.

Donc j’aimerais vous expliquer comment cette charge contre la production de connaissance peut (et va certainement) impacter mon travail. Et comment cela peut nous impacter tous.

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Crédit : Pixabay

La recherche environnementale américaine en péril

C’est surprenant peut-être, mais les États-Unis ont été les premiers à mettre en place une agence gouvernementale pour l’environnement. L’US-EPA existe en effet depuis le 2 décembre 1970. L’agence a été créée pour protéger la santé humaine et l’environnement, dans la foulée du scandale lié à l’impact de l’insecticide DDT dénoncé dans le livre « Le printemps silencieux » de Rachel Carson.

C’est d’ailleurs cette même agence que l’administration Trump veut saborder en éliminant la partie « recherche scientifique », soit plus de 1000 chimistes, biologistes ou toxicologues.

Or les recherches menées par cette agence sont essentielles pour protéger la qualité de l’eau ou de l’air. Donc pour protéger la biodiversité et au final notre santé.

Prenons l’exemple des polluants éternels, les fameux PFAS. La pollution mondiale des sols et des eaux, ainsi que l’implication pour nos sociétés, a été démontrée dans le « Forever Pollution Project » datant de 2023.

Or l’US-EPA travaille sur les PFAS depuis les années 2010. L’agence américaine pour l’environnement a donc acquis des compétences indispensables sur ces polluants. Les États-Unis ont d’ailleurs fixé des normes plus strictes qu’en Europe pour l’eau potable, et ceci depuis plus longtemps.

Perdre l’accès à ces compétences et à ces données serait très problématique pour l’Europe qui cherche actuellement à réguler ces substances.

Des bases de données menacées de disparition ?

Autre exemple, les bases de données. Lorsque l’on veut fixer une valeur seuil pour l’environnement, par exemple pour l’eau, on a besoin de données d’écotoxicité sur les organismes aquatiques comme les poissons ou les micro-crustacés. Chercher ces données dans la littérature prend énormément de temps. En effet, il faut lire chaque étude et vérifier qu’elle remplit bien les critères pour que les résultats soient utilisés dans le calcul de la valeur seuil.

Or depuis 1999, l’US-EPA a mis en ligne et tient à jour une base de données unique qui répertorie les données d’écotoxicité publiées dans la littérature. Appelée Ecotox Knowledge base, c’est un outil indispensable pour commencer ses recherches en vue de fixer un seuil d’écotoxicité pour protéger l’environnement.

Depuis quelques années, les bases de données résultant du réseau Norman et de l’agence européenne des produits chimiques (ECHA)  fournissent le même genre de service, mais contiennent moins de données.

Si la base de données américaine disparaît, ce sera donc de nouveau très problématique pour les chercheurs ou les administrations qui souhaitent protéger l’environnement au sens large. On pourra toujours faire le même travail, définir des seuils, mais cela demandera beaucoup plus de temps.

Pour l’instant cependant, « Ecotox Knowledge base » est toujours en ligne. Est-ce que sa disparition est uniquement un fantasme ?

Peut-être pas.

Un article paru le 20 mars dans le journal le Monde répertorie la disparition des bases de données depuis l’investiture de M. Trump et leur réapparition après avoir été purgées de certaines données. Le graphique montre une diminution de près de 4 000 bases de données en ligne depuis janvier, avec leur ré-apparition mi-mars, vidées de leur substance. Même si les chiffres sont certainement sous-estimés, car ils ne tiennent pas compte des données locales, c’est un bon indicateur de ce qu’il se passe actuellement aux USA.

Mais la recherche et les documentalistes se mobilisent. Le « Data rescue project » est un effort collaboratif pour tracer les bases de données qui ont été sauvées, afin de savoir où elles sont stockées. Pour ma part, dans le doute, j’ai sauvegardé la fameuse base de données américaine sur notre serveur. C’est plus sûr.

Nathalie Chèvre, écotoxicologue

Article posté le 28 mars 2025 par Nathalie Chèvre, maître d’enseignement et de recherche à l’Université de Lausanne, Suisse.

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