Plastiques parcelles agricoles

Des microplastiques dans nos parcelles agricoles – une pollution invisible

Par OCÉANE PFISTER
(N’hésitez pas à commenter cet article et à poser vos questions en bas de page 🙂 )

Devenus omniprésents, les plastiques polluent aujourd’hui chaque recoin de notre planète, des sommets des montagnes jusqu’au fond des océans. Une partie de cette pollution est pourtant rendue invisible par la petite taille des particules. Lorsque celles-ci sont inférieures à 5 mm, on parle de microplastiques. Ces microplastiques, formés par la fragmentation des plastiques ou produits directement à cette taille, polluent tous les compartiments de l’environnement : l’eau, l’air, et même le sol. Les parcelles agricoles sont largement polluées par les microplastiques, impactant la qualité du sol et l’écosystème présent. Ceux-ci pourraient même remonter la chaîne alimentaire et être présents dans notre nourriture ! Mais d’où viennent-ils ? et peut-on y remédier ?

Plastiques parcelles agricoles
Des rangées de fraises… et de plastiques – Crédit : topntp26 de Freepik

Remonter aux origines des microplastiques

Dans le cadre de mes études au sein de l’Université de Lausanne, j’ai cherché à évaluer les origines de microplastiques présents dans les sols agricoles suisses. Malgré le manque actuel de données et de connaissances sur le sujet, j’ai estimé – à partir de la littérature scientifique – la quantité, forme et composition que pouvaient prendre ces particules dans les parcelles maraîchères et de grandes cultures.

Le mode d’entrée de ces particules diffère selon le type de pratique. La source peut être volontaire, liée à une utilisation consciente du plastique, ou involontaire, quand le plastique n’est ni utile ni souhaité mais tout de même présent. Le microplastique peut être primaire – formé à cette taille-, ou secondaire – issu de la fragmentation de plastique plus gros. A noter que j’identifie ici les intrants associés à l’agriculture, mais que la pollution des sols se fait également via d’autres sources diffuses tel que le dépôt atmosphérique, le littering (abandon de déchets dans l’environnement) et l’abrasion des pneus.

Les utilisations du plastique en agriculture

Les pratiques maraîchères utilisent largement du plastique, afin d’améliorer le rendement des cultures. Les serres et tunnels, ainsi que les films de paillage sont utilisés pour créer un microclimat favorable à la croissance de plantes. Bien que leur usage apporte divers bénéfices – limitation du besoin en eau, réduction de l’usage d’herbicides, protection des intempéries –, il conduit à la formation et à la présence de microplastiques dans les sols. Face à l’exposition au rayonnement UV, à la chaleur, et en présence d’oxygène, le plastique subit une dégradation abiotique qui conduit à la formation de particules plus petites. La manipulation des films et les intempéries favorisent également ce processus de fragmentation. Le système d’irrigation goutte-à-goutte participe aussi dans une moindre mesure à cette pollution.

Les films de paillage sont particulièrement problématiques, en raison de leur manipulation plus fréquente et de leur finesse, qui les rendent plus propices à la fragmentation. En Suisse, ils apportent environ 2 kg de plastique par hectare chaque année. Une large proportion de ces intrants pourrait pourtant être facilement évitée si les fabricants de film étaient plus transparents à leur sujet. En effet, de nombreux films dits trompeusement « biodégradables », en raison de produits accélérant leur fragmentation, sont vendus et laissés dans les sols à la fin des cultures. Ils apportent alors d’autant plus de microplastiques. Il est donc essentiel que seuls des films certifiés biodégradables – et dans des conditions réelles -, puissent être laissés dans les sols.

Du plastique dans les engrais et les semences

Le maraîchage et les grandes cultures utilisent des amendements organiques pour fertiliser les sols. Ces amendements sont souvent largement pollués par du plastique, et apportent alors de manière involontaire et souvent inconnue des microparticules. L’engrais à base de boue d’épuration, interdit en Suisse depuis 2006, est la source majeure de microplastiques dans les autres pays autorisant la pratique. A noter qu’en raison du long temps de dégradation du plastique, les parcelles suisses sont encore polluées par une pratique qui a cessé depuis près de 20 ans.

Actuellement, la fertilisation des sols se fait via compost et digestat (résidu du processus de méthanisation), et d’engrais minéraux. Or, en raison de plastiques jetés avec les déchets verts par les ménages et industries, tels que les sacs plastiques ou les étiquettes autocollantes sur les légumes et les emballages, une partie de ceux-ci demeure dans le compost et le digestat pour finir ensuite sur les sols.

Au total, entre 4 et 8 kg de plastique par hectare sont dispersés chaque année dans les sols via cette pratique. La quantité diffère selon le type de compost/digestat utilisé, car les procédés de fabrication, ainsi que l’origine des déchets verts sont des vecteurs d’influence. Les citoyens peuvent et doivent agir en triant correctement les déchets : pas de sac plastique dans les déchets, pas d’autocollant de labelling, etc. Aussi, une clarification de la part des industries doit être faite entre sac compostable et biodégradable. Alors que les premiers se dégradent dans le compost, les seconds ne doivent pas être jetés avec les déchets verts !

Enfin, des microplastiques se cachent dans l’enrobage des engrais et des semences. Les engrais à libération contrôlée utilisent ces microparticules afin d’enrober les nutriments et de contrôler leur relargage dans le sol. Ceux-ci sont très peu documentés en Suisse – et dans le reste du monde – , il est donc difficile d’estimer leur ampleur.

La pratique de l’enrobage des engrais et des semences est sur le point de changer, grâce à de nouvelles législations européennes sur les microplastiques qui entreront en vigueur d’ici quelques années. Celles-ci obligent notamment l’utilisation de polymères biodégradables. Alors que la Suisse applique les directives quant à l’obligation d’utiliser des polymères biodégradables pour les engrais, elle ne semble pas les suivre pour l’enrobage des semences. Il est pourtant important d’agir également sur ce point, en utilisant des alternatives biodégradables ! L’enrobage des semences, utilisé pour lutter contre les maladies, pourrait également être appliqué de manière plus ciblée. Des analyses d’échantillons menées entre 2011 et 2020 montrent que plus de 80 % des semis étaient sains et ne nécessitaient pas de traitement. Une approche plus holistique consisterait à appliquer l’enrobage uniquement aux semences dont un contrôle sanitaire confirme la nécessité du traitement.

Que faire pour lutter contre cette pollution ?

Ainsi, si l’on souhaite préserver la qualité des sols agricoles et leur fertilité, plusieurs points sont à retenir. Premièrement, il est nécessaire que chacun·e agisse en limitant la présence de plastique dans le compost : c’est une source involontaire de microplastique qui n’est pas visible ! Dans le même sens, éviter l’enrobage des semences lorsqu’il n’est pas nécessaire semble également être une piste cohérente. Ensuite, lorsque l’utilisation de plastique présente des bénéfices clairs pour les cultures, comme c’est le cas pour le maraîchage, celui-ci doit se faire de manière à limiter sa présence dans les sols. En ce sens, une clarification sur la biodégradabilité du plastique doit être faite, et communiquée de manière transparente par le marché. Au-delà des pratiques agricoles, ce raisonnement doit être fait de manière globale : éviter le plastique lorsque celui-ci n’est pas nécessaire, développer des alternatives lorsqu’il présente des avantages, et limiter sa pollution lorsque l’on ne peut s’en passer.

Article posté le 14 août 2025 par Océane Pfister, étudiante en Bachelor à l’Université de Lausanne, Suisse

Sources utilisées pour cet article :

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