Application de peintures antifouling sur un bateau

Les antifoulings, quelle menace pour les lacs ?

PAR ROMAIN ZUBER
(N’hésitez pas à commenter cet article et à poser vos questions en bas de page 🙂 )

Application de peintures antifouling sur un bateau

En août 2024, en quête d’un emploi saisonnier comme beaucoup d’étudiants, j’avais trouvé un poste d’auxiliaire dans une entreprise de location de bateaux sur les rives du Léman. Le travail, plutôt simple, consistait à accueillir les clients, préparer les embarcations et entretenir les engins nautiques : pédalos, kayaks, petits bateaux moteurs. Un jour de pluie, synonyme de basse fréquentation, on m’a demandé de refaire l’antifouling des bateaux de locations ainsi que des pédalos. Je n’avais auparavant jamais entendu parler de ces produits mais la tâche assignée me sauvait de l’ennui et je me suis donc mis au travail avec enthousiasme. Le but étant de rendre impossible l’accrochage des petits coquillages, algues ou crustacés sur les coques (qui est considéré dans le domaine comme du « fouling ») . Plus la journée passait, plus je m’interrogeais sur la véritable utilité de ce produit et sur la pertinence de son application. En fin de journée, on m’a informé que pour faire partir les tâches d’antifoulings que j’avais sur la peau, le mieux était de frotter avec de l’essence. Quant aux restes d’antifouling tombés au sol, il fallait rincer avec un jet haute-pression et « pousser » le tout dans le lac. Cette expérience m’a amené à m’interroger sur l’usage des peintures antifouling dans les eaux lémaniques, et sur leurs conséquences pour les écosystèmes du lac.

Pourquoi utilise-t-on des antifoulings ?

Pour comprendre le rôle de ces produits, il faut d’abord s’intéresser au problème qu’ils cherchent à résoudre : le biofouling. Toutes les surfaces immergées, tels que les coques de bateaux, accumulent du matériel organique et inorganique. Si elles restent longtemps dans l’eau, des communautés biologiques entières s’y développent : algues, coquillages, crustacés…c’est ce que l’on appelle le biofouling. Ce phénomène n’est pas sans conséquence. En augmentant le poids de la coque, il fragilise la structure du bateau. En augmentant la traînée hydrodynamique, il le ralentit et accroît sa consommation de carburant. Enfin, il peut favoriser la dispersion d’espèces invasives, transportées d’un bout à l’autre du globe par les coques des bateaux. Ces problèmes sont connus depuis plusieurs siècles maintenant, et la solution la plus adéquate qui a été trouvée fut d’enduire les coques de matériaux spéciaux. Après avoir évolué de nombreuses fois au fil des siècles, la solution qui s’est imposée à partir du 19ème siècle est la peinture antifouling.

Les impacts de biofouling : augmentation de la consommation de carburant, augmentation de la traînée hydrodynamique, augmentation du poids, transport d'espèces invasives et augmentation de la pollution
Les impacts du biofouling – Crédit : Zuber R., Biorender, 2025 – Licence : CC

Les antifoulings contiennent des substances biocides

Dès les années 1950-1960, la peinture antifouling à base de tributylétain (TBT) s’est rapidement imposée, grâce à son efficacité exceptionnelle ainsi que son très bon rapport qualité-prix. Cependant dès les années 1970, les premiers signaux d’alertes sont apparus. En France, des ostréiculteurs ont constaté des malformations sur les coquilles d’huîtres élevées dans les ports et marinas autour de La Rochelle. Des recherches plus approfondies ont alors établi un lien avec le TBT, dont la toxicité élevée est démontrée. Face à ces risques, la France légifère en 1981 sur la restriction de l’utilisation des peintures à base de TBT. Quelques décennies plus tard, la prise de conscience est mondiale et en 2008, c’est 174 pays qui interdisent officiellement les peintures à base de TBT. Logiquement, cette interdiction a permis l’émergence de nouvelles substances.

Aujourd’hui, le marché offre une diversité surprenante de peintures antifoulings. La grande majorité des peintures, y compris celles utilisées sur le lac Léman, contiennent au moins un biocide dans leur composition. En Europe et en Suisse, 11 substances actives sont actuellement autorisées. Parmi elles, le cuivre et le zinc, dont les effets sont relativement bien connus. D’autres en revanche, comme le diuron ou le pyrithione de cuivre, sont encore très peu documentés sur le plan toxicologique. De plus, évaluer les effets de ces peintures est très difficile car ceux-ci dépendent d’une multitude de facteurs. Par exemple, la teneur en substances actives de ces produits peut passer du simple au double, et ainsi augmenter considérablement la libération de substances actives dans l’eau. D’autres facteurs doivent également être pris en compte comme le nombre de substances biocides présentes dans la peinture (pouvant aller de 1 à 6 selon les peintures), la température, le pH et le taux de salinité de l’eau.

Dans le cadre d’une étude de 2022 classant la toxicité des substances actuellement autorisées dans les antifoulings, le diuron, le DCOIT, l’oxyde de cuivre et le thiocyanate de cuivre ont été identifiés comme les plus grandes menaces pour les écosystèmes aquatiques. Les auteurs soulignent toutefois que le manque de données environnementales est un frein pour une évaluation globale et exhaustive de l’ensemble des substances.

En ce qui concerne la Suisse et le Léman, ce fut pendant longtemps le VC17m qui dominait le marché des peintures antifouling. Composé de PTFE, il a été interdit par l’Union Européenne en eau douce. La Suisse a suivi cet exemple et a interdit le stockage et l’utilisation du VC17m après octobre 2024. Des interviews et un questionnaire, réalisés dans le cadre de ma recherche, ont permis de montrer que ce produit était encore parfois utilisé sur le Léman. La majorité des utilisateurs semble s’être toutefois tournée vers d’autres peintures autorisées, créant un marché plus diversifié. Parmi elles, le « Thin Film Swiss », utilisé par environs 50 % des utilisateurs entendus. Les autres peintures qui sont revenues plusieurs fois étaient « Trilux 33 », « Ultra 300 » et « Speedy Carbonium ». L’ensemble des produits cités contient au minimum deux biocides. Une longue liste d’avertissements sur les risques toxicologiques et écologiques est lisible sur l’emballage de toutes ces peintures.

Quels impacts sur les écosystèmes ?

La question qui m’a alors animé était de savoir si l’utilisation de ces peintures avait un réel impact sur le Léman. Le calcul théorique pour estimer le relargage des biocides dans l’eau est rendu impossible par sa complexité et la multitude de facteurs associés (propriété de l’eau, type de peinture, nombre de bateaux, état des coques, etc). Une technique récente basée sur l’utilisation de rayons X fluorescents permet d’évaluer le taux de relargage pour une seul coque étudiée, mais celle-ci est trop coûteuse et technique dans le cadre de mon travail.

Ainsi, il ne me restait qu’à me baser sur des études existantes en conditions comparables. En Allemagne par exemple, les peintures antifoulings constituent la deuxième source de cuivre la plus importante dans les eaux douces. Dans 25 % des sites étudiés, les concentrations dépassent les normes en vigueur. La Suède, elle, a interdit depuis 1995 tous les antifoulings contenant des biocides dans ses lacs, invoquant la protection des écosystèmes sensibles. D’autres études européennes semblent aller dans le même sens et laissent penser qu’il est certain de pouvoir s’attendre à un impact sur la qualité de l’eau ainsi que sur les écosystèmes aquatiques.

Quelles alternatives ?

La question de l’alternative se pose alors : comment empêcher le biofouling et protéger les coques, sans intoxiquer le lac ? La réponse est le silicone. Déjà utilisé en Suède par exemple, ce matériau agit physiquement plutôt que chimiquement, réduisant les risques toxiques pour les écosystèmes. Des études sur la performance de glisse montrent qu’un bateau utilisé régulièrement glisse à la même vitesse s’il est recouvert de silicone ou bien des plus puissantes peintures biocides. Toutefois, pour les bateaux utilisés occasionnellement, à savoir la majorité des embarcations du Léman, le rendement de vitesse serait diminué avec une peinture à base de silicone. Une grande part des usagers ont confié ne pas être inquiété par une légère perte de vitesse. Toutefois, si l’on souhaite maintenir des performances optimales avec le silicone, il est conseillé d’associer ce matériau à un brossage régulier de la coque, à réaliser hors de l’eau, pour éliminer le biofouling naissant. Dans le cadre de mon travail, j’ai réalisé la grille ci-dessous pour cibler les pratiques et les produits à envisager selon le type de navigation recherchée.

Recommandations pour réduire l'impact environnemental de la protection des coques de bateaux (antifouling)
Crédit : Zuber R., Xmind, 2025 – Licence : CC

Au-delà de la peinture elle-même, l’application des antifoulings pose également un problème. Pour renouveler une couche de peinture (ce qui semble être fait chaque année ou tous les deux ans en moyenne), il faut caréner la coque, c’est-à-dire retirer l’ancienne peinture. Cela peut être fait au Kärcher, en grattant manuellement, ou avec des produits chimiques. Des particules de peintures d’antifoulings (PPA) sont générées si elles ne sont pas correctement récupérées et traitées. Bien que les chantiers navals et 18 ports lémaniques (sur les 44 recensés) soient équipés d’aspirateurs industriels récupérant ces PPA, mon expérience personnelle me permet de dire qu’il se peut que ces interventions se fassent sans aucune précaution. Dans mon cas, nous le faisions à même le sol, à quelques mètres de l’eau du port, sans grille d’évacuations des eaux usées à proximité (tout a donc probablement fini dans le lac). Ce cas ne doit toutefois pas être généralisé ; lors des interviews, les usagers privés ont confié être conscients des risques écologiques de l’application de ces peintures.

Cette problématique des antifoulings semble donc présenter une réelle menace sur nos écosystèmes, voir même sur notre santé. La majorité des usagers interrogés se sont dit relativement, voir fortement, inquiétés par cette thématique. Certains se sont plaints du manque de politiques publiques et d’informations dans le domaine, les comparant à des « pesticides aquatiques ». Lorsque l’on constate que des produits alternatifs comme le silicone ont déjà fait leur preuve, et que certains pays ont déjà interdit l’utilisation de peintures biocides, on peut se demander : qu’attendons-nous ?  

Romain

Article posté le 11 décembre 2025 par Romain Zuber, étudiant à l’Université de Lausanne, Suisse.

PS : si vous souhaitez consulter mon travail complet, veuillez me contacter.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *